Une stèle en hommage aux 90 personnes tuées au Bataclan. Les attentats du 13 novembre ont fait 130 morts au total. Une stèle en hommage aux 90 personnes tuées au Bataclan. Les attentats du 13 novembre ont fait 130 morts au total.  

Procès des attentats du 13 novembre 2015: un besoin de justice pour les victimes

Un procès hors-norme s'ouvre le 8 septembre devant la cour spéciale d'assises à Paris. Seront jugés 20 accusés soupçonnés d'avoir aidé, soutenu ou participé aux pires attentats terroristes de l'après-guerre en France. Près de 1800 personnes se sont constituées parties civiles. Derrière le fonctionnement de la justice se pose la question de la réparation et de la reconstruction pour les victimes. Témoignage de l'une d'entre elles.

Olivier Bonnel-Cité du Vatican

L'épidémie de Covid-19 aura finalement laissé un peu de répit. Plusieurs fois repoussé, le procès des attentats du 13 novembre 2015 s'ouvre enfin à Paris ce mercredi 8 septembre. Une séquence judiciaire inédite, à l'image de ces attaques terroristes qui endeuillèrent le pays et stupéfièrent le monde entier. Dans la nuit du 13 novembre 2015, plusieurs commandos terroristes feront 130 morts à Saint-Denis et dans le centre de Paris, se faisant exploser aux abords du Stade de France, puis mitraillant des cafés et terrasses et prenant en otage des centaines de personnes dans la salle de spectacle du Bataclan.

Près de six ans après ces attaques, le procès, méticuleusement organisé, devrait durer neuf mois et se tiendra sous très haute sécurité. Vingt personnes sont sur le banc des accusés de la cour d'assises spéciale du palais de justice de Paris, où une salle a été spécialement aménagée. Quatorze prévenus seront présents parmi lesquelles Salah Abdelslam, le seul terroriste encore vivant du commando du 13 novembre. Face à elles, les victimes et leurs familles constituées en parties civiles-près de 1800- viendront témoigner. Un excercice encore douloureux pour redonner un nom à chacune des victimes et aux survivants de cette nuit d'horreur, marqués à vie.

Derrière la machine judiciaire se cachent en effet des histoires de vies brisées mais aussi de personnes qui se reconstruisent, qui cherchent à «vivre avec». Emmanuel Domenach, 34 ans, était au Bataclan le soir du 13 novembre. Pendant deux ans il fut le vice-président de l'association de victimes "13onze15". Il témoigne encore dans des écoles avec l'Association Française des Victimes du Terrorisme (AfVT). Avec sobriété, il revient sur ce parcours de reconstruction et le besoin de justice de ceux qui furent frappés par le terrorisme cette nuit-là.

Six ans après le Bataclan, que vous reste t-il de cet évènement qui a changé votre vie?

C'est une cicatrice, non visible parce que je n'ai pas de blessure physique, mais avec laquelle je vis depuis. J'ai longtemps cru que j'allais pouvoir me débarasser de cette cicatrice et que quelque part j'allais pouvoir revivre comme avant, que ce serait un peu comme une mauvaise chute de vélo dont on se souviendrait de temps en temps, mais en fait non, j'ai compris que je ne serai plus jamais le même. Ce sont des crises d'angoisse, des moments de peur un peu inexpliqués, inexplicables, c'est une sensibilité et une fragilité en particulier quand on parle de terrorisme jihadiste.

Mais ce qui me reste après c'est aussi des moments de force, de reconstruction. Même si je ne serai plus jamais le même, j'ai reconstruit ma vie, j'ai avancé, j'ai vu de belles choses, partagé avec les autres victimes lors des conférences. Maintenant j'ai toujours cette volonté que ce 13 novembre n'ait pas servi à rien, que l'on puisse s'en servir pour faire avancer les choses, pour aider les gens. Pour aussi ne pas céder à la peur face à nos ennemis qui continuent de chercher à nous attaquer. 

“personne n'a le droit de nous voler notre parole.”

Comment se tisse ce lien avec les autres victimes de ces attentats?

C'est une sorte de lien invisible. Quand vous rencontrez quelqu'un qui a vécu ces attentats, même des proches de victimes d'autres attentats, vous avez vécu les même horreurs, vous mettez des mots. Cela peut sembler bizarre, mais vous parlez aussi de difficultés procédurales, celles liées à l'indemnisation, et tout de suite vous avez ce lien qui se crée, dans le partage de ces choses-là. Avec d'autres, ce lien sera aussi plus proche parce qu'on fait des choses ensemble, on a la volonté de se battre, d'avancer, cette volonté aussi que l'on ne nous vole pas notre parole et que l'on se l'approprie.

Il ne faut pas non plus idéaliser ce lien car il peut être aussi redoutable de mon point de vue. Si vous ne parlez plus que de cela, vous n'avancez plus. Ma force a été de rencontrer des victimes mais aussi d'avoir des proches qui n'ont pas vécu le 13 novembre, qui m'ont aidé à avancer, à continuer ma vie à côté. Le 13 novembre ne doit pas devenir une obsession, ne pas occuper toute la place, ou cela peut devenir très dangereux et douloureux. 

«Ce sentiment que l'on ne nous vole pas notre parole», dites-vous, politiques ou autres, on instrumentalise la parole des victimes? C'est un risque?

Constamment, et d'ailleurs de tous les bords politiques. On a tendance à viser l'extrême-droite mais pas seulement. On s'approprie un discours. Récemment, je crois que l'on a vu les soutiens d'Éric Zemmour qui ont posté des photos des victimes des attentats du 13 novembre pour leur campagne politique. C'est abject. Je ne dis pas que toutes les victimes avaient la même vision politique, mais ni le concert du Bataclan, ni les terrasses, ni le Stade de France n'étaient des meetings politiques ! Chacun a son point de vue. Mais personne n'a le droit de nous voler notre parole, personne n'a le droit de parler en notre nom, hormis les associations qui nous représentent. On aura ce procès en même temps que la campagne présidentielle, il faudra être très vigilant. 

La salle du palais de justice où se déroulera le procès
La salle du palais de justice où se déroulera le procès

Ce procès suscite une attention médiatique immense, avez-vous le sentiment que, loin des projecteurs, la parole des victimes est suffisemment entendue le reste du temps? 

Oui totalement, et je pense que ce sera pire après le procès. Là, un énorme projecteur se porte sur les victimes, y compris sur celles qui jusqu'ici n'arrivaient pas à parler. On entend cela très fort, mais je pense que l'après-procès sera très douloureux. C'est normal d'une certaine façon car la société considérera que son travail est fait, que la page peut être tournée pour elle, mais pour les victimes les douleurs sont toujours vives. Il y a toujours de nombreux dossiers d'indemnisation en cours, par centaines voire par milliers, et quelque part je crains que ces personnes ne sentent encore plus oubliées qu'elles ne l'étaient avant.

La société pense aux victimes lors des commémorations ou lors de ce procès, et c'est légitime, mais les souffrances et les douleurs sont là et ont du mal à ressortir, et quelque part le politique n'y répond plus. On sent vraiment une différence entre la période 2015-2017 où les victimes étaient un peu au centre, et maintenant où l'on est un peu oublié. On ne demande pas une attention majeure, mais que nos souffrances et nos difficultés soient traitées. Ces attentats visaient la France en général, pas seulement les spectateurs du Bataclan où ceux qui étaient en terrasse.

Mais comment arrive-t-on à "réparer les survivants", si tant est que cela soit possible? L'accompagnement des victimes sur le long terme est mal pris en charge en France? 

On ne peut pas réparer les survivants, mais je pense que l'on peut les aider et les accompagner. Il y a beaucoup de choses qui sont faites en France, je ne jette pas le bébé avec l'eau du bain, des choses très positives, mais il manque d'un suivi à long terme. La machine administrative peut être très lourde pour les gens. Il y a par ailleurs aujourd'hui une "injonction à la résilience" qui est faite aux victimes, à tourner la page, qui est insuportable pour certaines d'entre elles. Elles ne peuvent pas, elle n'y arrivent pas et elles se sentent encore plus abandonnées parce qu'elles n'y arrivent pas.

Ces victimes se sentent dévalorisées et pour cela il faut qu'il y a ait une main tendue, qui doit passer par l'État. L'État doit se soucier des victimes. cela paraît peut-être stupide mais cela passe par un courrier pour prendre des nouvelles, rappeler que l'on peut avoir accès à un psychologue etc... La gratuité des soins s'est arrêté deux, peut-être trois ans maximum après les attentats. Aujourd'hui pourtant certains ont besoin encore d'avoir un soutien psychologique, certains d'ailleurs qui ne s'étaient pas exprimés après les attentats mais pour qui la douleur revient. Et avec le procès cela va forcément revenir. On note d'ailleurs que beaucoup se sont constitués en parties civiles à la dernière minute, c'est dire le besoin de partager cette souffrance-là.

L'autre difficulté que je vois concerne le fonds de garantie des victimes. L'indemnisation fait partie de la reconstruction, qu'on le veuille ou non, c'est un droit pour les victimes, la seule chose que l'on a trouver pour "réparer" un peu nos souffrances. Et cette indemnisation est difficile: on a le sentiment que dès que l'on expose l'une de nos souffrances, ou que l'on dit que l'on va mieux, cela est pris en compte en positif ou négatif par le fonds de garantie. C'est une relation "d'assureur à assuré", un peu technocratique, moins humaine. C'est très difficile à accepter.

“La meilleure image à proposer pour répondre à la barbarie: que la justice passe”

Qu'attendez-vous de ce procès qui s'ouvre?

J'en attends principalement une chose: que la justice française passe. Ce procès n'est pas pour les parties civiles, ce n'est pas une séance de psychologie collective. Il n'est pas là non plus pour nous donner une quelconque satisfaction parce je pense que ce n'est pas possible. On attend rien non plus des accusés, car ils ont déjà montré qu'ils n'auraient pas le courage de la vérité, ils vont soit s'enfoncer dans leur mutisme, soit s'enfermer dans des discours politiques pour défendre leur idéologie.

En revanche, ce que la France peut montrer face à un terrorisme jihadiste qui a cherché à nous affaiblir sur nos valeurs, qui a cherché à montrer que nous ne sommes que des démocraties fantôches prêtes à céder à la haine ou à mettre à l'index une partie de la population, face à ceux qui aimeraient résumer tout cela à un affrontement entre la France et l'islam, on peut montrer qu'au contraire la justice française reste forte, qu'elle maintient ses principes d'État de droit. Les accusés auront le droit d'être défendus, de façon équitable, ils auront des avocats qui pourront s'exprimer. Je m'attends donc à un procès qui sera équilibré et qui fera que leur condamnation ne sera que plus juste. Ce sera la meilleure image à proposer pour répondre à la barbarie et la haine promue par les groupes jihadistes, à leurs procès sommaires, leurs lapidations ou leur exécutions ciblées. 

Comment vous êtes-vous reconstruit personnellement après le Bataclan?

Pendant deux ans j'ai un peu mis entre parenthèses cette reconstruction. Avec l'association "13onze15", je me suis d'abord reconstruit en aidant les autres, car je voulais vraiment faire quelque chose du 13 novembre. J'ai essayé de mon mieux. Puis est venu ma reconstruction personnelle, j'ai une vie de famille, j'ai créé mon cocon. Cela m'aide beaucoup. Ma femme qui n'était pas là le 13 novembre m'a énormément aidé, elle m'a montré justement que la vie continuait, qu'il y avait plein de belles choses à vivre, comme ma petite fille, qui en est peut-être la plus belle. Tout cela me donne de la force.

J'interviens aussi dans les écoles avec l'Association française des Victimes du Terrorisme, c'est très important pour moi. Et puis j'ai fait des choses qui me tenaient à coeur, je me suis marié, je me suis fait aussi baptiser après un parcours catéchuménal. Venant d'une famille catholique, j'avais depuis très longtemps envie de me faire baptiser. À l'occasion de mon mariage, j'ai rencontré un prêtre dans une paroisse qui m'a beaucoup aidé. Cela ne remplace pas le soutien psychologique, mais cela m'a mis en paix avec certaines choses que je ressentais. La religion catholique m'a, quelque part, permis de mettre des mots là-dessus. Ce sentiment de pardon, même si je n'y arrive pas pour l'instant, cette relation avec des gens qui ont cherché à vous tuer. La religion m'a appaisé avec cela. 

Entretien avec Emmanuel Domenach, victime de l'attentat au Bataclan

 

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07 septembre 2021, 14:37