Cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul de Mdina (1697) dans le centre de Malte. Cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul de Mdina (1697) dans le centre de Malte.  

Corruption à Malte: l'île souffre du manque d'étatisme

C’est une première pour un pays européen. L’île de Malte a rejoint fin juin la liste grise du groupe d’action financière. En cause, la pratique du blanchiment d’argent très répandue sur l’archipel méditerranéen. L’organisme de lutte intergouvernemental anti-blanchiment va désormais surveiller de plus près les crimes en col blanc commis sur l’île.

Entretien réalisé par Delphine Allaire – Cité du Vatican   

Malte fait depuis longtemps face à des accusations de laxisme et de corruption, qui ont d'ailleurs fait l'objet d'enquêtes en 2017 par la journaliste Daphne Caruana Galizia, assassinée la même année. Le scandale des Panama Papers, une succession de révélations autour de la corruption et de la criminalité financière mondiales en 2016, avait aussi fait chuter deux responsables de l'exécutif maltais.

Depuis ces événements, peu de choses ont changé. Le problème maltais semble en effet remonter à des décennies, plus précisément à l’indépendance…acquise du Royaume-Uni en 1964, lâchant l’île, traditionnelle et rurale, dans le grand marché du capitalisme, sans évolution ni transition. Décryptage historique.

Entretien avec Alain Blondy, historien spécialiste de Malte

Malgré les efforts ces dernières années, à quel niveau évaluer aujourd’hui le niveau de corruption de l’île et l’étendue du blanchiment d’argent en particulier?

Le problème de Malte est que l’île a 60 ans d’âge, c’est un «pays adolescent», sans culture étatique depuis des millénaires. Malte a toujours été colonisée, et depuis 1964 voilà que Malte devient indépendante, et découvre «sa capacité d’État». Or, c’est un micro-état -29 km sur 19 km. Le pays souffre ainsi du «syndrome de Lilliput», aspirant au même style de vie que les grands États d’à côté. Sans production aucune, nécessairement il faut trouver de l’argent ailleurs. Jadis colonisée, Malte recevait l’argent de la métropole. Entre la fin de la colonisation britannique et l’entrée dans l’Union européenne en 2004, cette période où l’ile s’est retrouvée seule, l’on a assisté à une course aux moyens. L’entrée dans l’UE a fait exploser le niveau de vie des Maltais. Ils sont entrés dans le consumérisme sans évolution, passant d’une société quasiment rurale à ultramoderne: le taux de construction a augmenté de 400%, il y a quasiment plus de voitures que d’habitants sur l’ile. Ce consumérisme, nécessairement, a entraîné des besoins financiers.

 

L’autre fait important et le manque d’étatisme de la structure politique maltaise. Elle est composée de deux partis, l’un nationaliste pendant longtemps pro-Italie proche de l’Église, et un parti travailliste influencé par le socialisme municipal, et non étatiste. Deux partis qui n’ont pas vocation à développer une idée nationale, ni d’État, tous deux ultra-libéraux. L’ultra-libéralisme joint à la fringale de consommation a entrainé une explosion de tous les moyens pour parvenir à avoir un niveau de vie décent.    

Comment Malte pourrait donc achever «sa crise d’adolescence», pour reprendre votre terminologie?

Le niveau de corruption s’est accru dans le précédent gouvernement. Le jeune Premier ministre s’est entouré de personnes qui ont fait de l’argent, le summum ayant été l’affaire de la journaliste Daphne Caruana Galizia qui s’est attaqué à la corruption au plus haut sommet de l’État. Nous sommes là dans quelque chose de plus grave que les pratiques clientélistes. Depuis cette affaire, psychologiquement cela n’a rien changé; la philosophie du «pas vu, pas pris» subsiste, même s’il est vrai qu’aujourd’hui Malte se méfie. Il faudra plus de temps pour que les hommes d’affaires proches du pouvoir soient évincés.

Malte est un pays qui n’externalise pas sa dette. Elle émet des bonds achetés par des grands entrepreneurs, principalement du bâtiment. Des oligarques en somme. Ils possèdent la dette de l’État, donc l’État. Ils peuvent ainsi influencer la vie politique. Si Malte trouvait le moyen d’emprunter à l’extérieur, elle serait moins tributaire des pouvoirs économiques de l’intérieur.

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15 juillet 2021, 07:00