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Lors d'émeutes, des voitures et des synagogues ont été incendiées à Lod, près de Tel-Aviv (Israël). Lors d'émeutes, des voitures et des synagogues ont été incendiées à Lod, près de Tel-Aviv (Israël). 

D. Neuhaus: Israéliens et Palestiniens vivent "au coeur d'une blessure non-soignée"

Malgré les efforts diplomatiques pour parvenir à une désescalade, les hostilités entre Israël et le Hamas s’intensifient, tandis que des heurts violents opposent l’armée israélienne à des jeunes manifestants en Cisjordanie et que des émeutes inédites en Israël même suscitent de vives inquiétudes pour la coexistence entre Juifs et Arabes. Le père David Neuhaus nous offre son regard sur la situation.

Entretien réalisé par Manuella Affejee - Cité du Vatican

Le père David Neuhaus S.J. est le supérieur des jésuites de Terre Sainte, professeur d’Écriture sainte en Israël et Palestine, ancien vicaire patriarcal latin pour les catholiques de langue hébraïque et ancien coordinateur de la pastorale auprès des migrants et des demandeurs d’asile en Israël.

Le regard du père David Neuhaus, SJ

À l‘affrontement militaire entre Israël et le Hamas, se conjuguent depuis quelques jours, sur le territoire israélien, des émeutes entre communautés juives et arabes. Les images d’agressions, de lynchages, de ratonnades ont choqué le pays. Vous ont-elles surpris ?

Ce n’est pas du tout une surprise. Nous vivons au cœur d’une blessure non-soignée et purulente depuis 73 ans. En 1948, ceux qui sont aujourd’hui sont des Juifs israéliens ont eu leur patrie. Mais les Palestiniens n’ont pas eu leur patrie, ils n’ont rien reçu. Cela continue depuis 73 ans. Parfois, il y a une tranquillité qui s’installe, due à deux choses: une violence et une répression contre les Palestiniens qui réclament leurs droits, et une fatigue côté palestinien qui les plonge dans l’inertie.

D’un autre côté, en Israël même, où se trouvent des citoyens palestiniens, il y a un régime de discrimination qui souligne de plus en plus la définition juive de cet État. C’est un État «pour les Juifs». Et alors où doivent se trouver les Palestiniens qui sont citoyens?

Les confrontations dans les villes mixtes, qui sont un choc pour beaucoup d’Israéliens, ne doivent pas choquer en réalité. Cela participe d’une certaine logique, terrible, de ce conflit. Aujourd’hui, on ne peut pas être surpris, on ne peut pas dire «c’était inattendu».

Encore une fois, l’étincelle est partie de Jérusalem (affrontements sur l’Esplanade des mosquées, expulsions de familles palestiniennes dans le quartier de Sheikh Jarrah). La question irrésolue de la Ville sainte reste-elle la clé de ce conflit ?

Bien sûr! Jérusalem est au cœur de la conscience et de la géographie d’Israël-Palestine. C’est une ville qui vit une tension perpétuelle. Plusieurs éléments ont contribué à cette éruption de la violence que nous vivons actuellement. C’était dans les journaux, tout le monde l’a vu, mais encore une fois, on n'a rien fait.

Des personnes ont été chassées de leurs maisons dans un contexte de grande injustice. Maintenant, la question est certainement complexe. Ces propriétés appartenaient aux Juifs avant 1948, et au nom de cette appartenance, les Israéliens veulent chasser les Palestiniens qui vivent depuis lors dans ces propriétés. L’injustice n’est pas dans la restauration des propriétés à leurs propriétaires; elle réside dans le fait qu’il n’existe pas de parallèle entre Juifs et Palestiniens. Les Palestiniens qui vivent dans ces propriétés ont perdu leurs propres maisons en 1948 dans des zones qui sont devenues israéliennes. Le manque de parallélisme, l’exclusivité, et la domination de tout le pays par un côté uniquement reste un grand problème.

On observe le poids croissant des idéologies extrêmes, notamment du côté des sionistes-religieux et des colons. Leur influence au sein de la société est-elle en train de bouleverser les équilibres ?

Cela existe depuis toujours. Oui, les gens sont peut-être plus attirés par ces idéologies radicales aujourd’hui. Mais il faut prendre également en compte les manipulations des chefs israéliens. Durant les dernières élections, Netanyahu a soutenu la droite extrême en espérant pouvoir ensuite former un gouvernement avec elle. Ce sont des gens qui font peur; ils disent ouvertement “mort aux Arabes”, “chassons les Arabes”. (…)

Oui, il y a une certaine croissance de l’extrémisme mais elle est manipulée par un Premier ministre qui ne veut pas quitter le pouvoir. Et comme toujours dans ce genre de situation, les gens sont manipulés par l’utilisation de la peur et des cauchemars qu’ils ont dans leur tête. Cela est exploité par des politiciens sans scrupules qui n’ont rien à perdre. Et ce sont les innocents des deux côtés qui en paient le prix.

Que répond l’Église catholique à cette instrumentalisation du religieux, d’un côté comme de l’autre ?

Il ne s’agit pas uniquement de l’instrumentalisation du religieux, mais aussi des sentiments nationaux, d’un patriotisme très déplacé.

En tous cas, l’Église catholique, universelle et locale, répond, comme depuis 73 ans, avec une voix de cohérence et de logique, de respect pour tous les côtés. Mais avant tout, une voix de désolation, de grande tristesse en face des pertes humaines et de la destruction absolument terrible, à Gaza, mais aussi en Israël.

L’Église exprime donc sa solidarité avec ceux qui souffrent mais en même temps, elle rappelle qu’il n’y a pas de paix sans justice. Il n’y a pas de paix dans une atmosphère où le racisme règne, où les voix des extrémistes sont soutenues par ceux qui détiennent l’autorité.

Vous disiez que la question de Jérusalem était au cœur du conflit israélo-palestinien. Mais ce conflit reste-t-il déterminant pour l’avenir de la région ?

Je le pense, absolument. Depuis 1948, ce conflit définit le destin, pas seulement des Israéliens et des Palestiniens, mais des pays alentours. Je pense aux Palestiniens réfugiés au Liban par exemple, qui ont contribué à un grand déséquilibre là-bas.

Les discours de haine, basés sur cette blessure, continuent dans toute la zone et créent une situation où le dialogue, la justice et la paix semblent être des rêves impossibles à accomplir.

Depuis 1948, la communauté internationale est impuissante devant ce conflit. Les Israéliens et les palestiniens attendent-ils encore quelque chose d’elle ?

Bien sûr! On attend une voix qui pousse vers la justice. Vous dites: «impuissante». Mais il faut bien dire qu’elle a choisi l’impuissance. Israël dépend des États-Unis, de la communauté européenne. Sans leur soutien à tous les niveaux, Israël ne peut pas survivre.

Si ces pays décident de toujours prendre le parti d’Israël, cela devient une grande question: est-ce qu’on aide un pays à se suicider? À choisir toujours la violence? Jusqu’à quand? C’est mauvais pour l’État d’Israël. Il est en train de se suicider et la communauté internationale observe et soutient cette démarche de suicide.

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15 mai 2021, 11:23