Un famille indienne attendant à l'extérieur d'un hôpital de Calcutta durant l'hospitalisation d'un proche, le 28 avril 2021. Un famille indienne attendant à l'extérieur d'un hôpital de Calcutta durant l'hospitalisation d'un proche, le 28 avril 2021. 

En Inde, la pandémie affecte particulièrement les plus pauvres

L’Inde affronte une crise sanitaire d’une ampleur inédite depuis le début de la pandémie de Covid-19, avec la diffusion de variants très agressifs qui font des milliers de morts chaque jour. Un missionnaire français à Calcutta nous raconte comme il vit cette situation qui touche particulièrement les personnes les plus pauvres.

Cyprien Viet – Cité du Vatican

Alors que le pays revendiquait fièrement il y a quelques semaines encore sa résilience face à la pandémie de coronavirus et son efficacité dans la campagne vaccinale, l’Inde affronte depuis quelques jours un véritable cauchemar sanitaire. Le bilan quotidien dépasse désormais les 3000 morts par jour et les 350 000 nouvelles contaminations, un chiffre probablement sous-estimé, sans compter les décès indirects induits par la saturation des hôpitaux.

Selon de nombreux observateurs, le laxisme du gouvernement nationaliste hindou de Narendra Modi, qui a laissé s’organiser de vastes rassemblements politiques et religieux, et plus généralement l’inefficacité de la bureaucratie indienne, ont contribué à une diffusion massive du virus.

À Calcutta, une mobilisation constante dans l'attention aux plus pauvres

Depuis quelques jours, les médias internationaux ont fixé leur attention sur la capitale New Delhi, mais d’autres villes sont touchées. Le père Laurent Bissara, des Missions Étrangères de Paris, vit à Calcutta, où il a succédé au père François Laborde à la tête de l’ONG Howrah South Point.

Dans l’esprit du père Laborde, décédé à Noël dernier, et qui est connu en France pour avoir inspiré à l’écrivain Dominique Lapierre le personnage principal de son best-seller La Cité de la Joie, le père Laurent Bissara dirige cette structure qui supervise notamment des écoles et des établissements spécialisés pour des enfants malades et handicapés. Elle contribue aussi à la prise en charge médicale d’environ 60 000 personnes par an, avec des dispensaires mobiles déployés au Bengale occidental.

Il nous explique comment son ONG affronte cette crise sanitaire inédite, dans un climat politique confus et complexe.

Entretien avec le père Laurent Bissara

«À Calcutta nous sommes en pleine période d’élections, avec des résultats qui vont tomber le 2 mai. Et donc il y a beaucoup d’informations qui ne sont pas publiques. Mais moi je suis sur un groupe WhatsApp avec d’autres responsables d’ONG : toutes les cinq minutes, il y a des infos qui tombent, des urgences, des demandes d’oxygène, de Redemsivir, de tel ou tel médicament…

Une personne sur deux testée à Calcutta est positive, et dans le reste de l’État du Bengale c’est une personne sur quatre. Cela donne quand même une idée de la progression du virus. Il y a un an c’était surtout dans les villes, mais maintenant ça s’est propagé aussi dans les régions rurales, c’est absolument partout.Il n’y a presque plus de lits d’hôpitaux disponibles, seulement un de temps en temps, on reçoit un message WhatsApp qui annonce un ou deux lits disponibles dans tel ou tel hôpital. Mais la plupart du temps, c’est pour parler des gens qui sont renvoyés parce qu’il n’y a pas assez d’oxygène.

Tout d’un coup, en l’espace d’une semaine, tous les indicateurs ont explosé et ça s’est répandu comme une traînée de poudre.

Comment votre ONG s’adapte-t-elle à cette situation de crise?

Il y a beaucoup d’enfants qui vont retourner dans leur famille, et on va en envoyer beaucoup d’autres en vacances. Mais on ne peut pas les envoyer comme ça dans la nature : d’abord, ils rentrent dans des environnements pas très "safe", dans des slums, où le virus peut se propager. Et ensuite, il y a souvent des problèmes de violence domestique. Donc on va essayer de ne pas renvoyer ceux qui sont à risque.

Et ensuite, il y a les problèmes liés au probable lockdown qui va arriver. Il y a des familles qui n’ont pas de revenu, ou un très faible revenu, et pas de nourriture saine et régulière. Donc je pense qu’on va remettre en place le programme d’aide alimentaire d’urgence, d’abord en touchant les familles qui en ont besoin, et puis en général on s’occupe aussi des familles qui sont dans les mêmes quartiers. L’année dernière, on avait distribué à plus de 3000 familles des kits avec du riz, des lentilles, de l’huile, des produits de première nécessité.

Est-ce que la notion de distanciation sociale ou de distanciation physique, comme on la pratique en Europe, est compréhensible pour les populations avec lesquelles vous œuvrez?

Ils ont essayé l’année dernière de tracer des cercles blancs devant les échoppes, mais comme les échoppes sont collées les unes aux autres et que derrière, il y a la rue, ce n’est pas efficace, les gens sont collés les uns aux autres. Donc pendant un mois, les gens ont eu peur, puis petit à petit ils se sont détendus, et aujourd’hui ça fait au moins 6 mois qu’ils portent très rarement le masque. Il y a des regroupements informels tout le temps, puisque les gens font leur marché dans la rue. Dans les slums, les gens vivent en masse. Donc, la distanciation sociale, c’est quelque chose qui est culturellement incompréhensible.

Est-ce que la population exprime une colère vis-à-vis du gouvernement et des autorités locales?

Je pense que ceux qui sont en colère contre les autorités, ce sont plutôt les intellectuels, les journalistes, ceux qui ont accès à une tribune… Mais pour les gens ici, il y a une certaine résignation, qui vient un peu de l’hindouisme. C’est aussi une manière d’affronter courageusement les choses quand elles arrivent, pour se débrouiller, pour survivre.

Donc ensuite, à qui imputer la faute? C’est très difficile à dire. Il y a une crise institutionnelle en Inde, avec des jeux de renvoi de responsabilité sur les mesures à prendre. Donc il y a une vraie crise entre l’État central et les États fédérés. Ce qui est complexe en Inde, c’est que 60 à 70% de la population est très peu éduquée. Et donc, c’est sûr que le décryptage de l’actualité est difficile.

Votre prédécesseur, le père François Laborde, avait-il été confronté à de semblables difficultés?

À ma connaissance, la crise du coronavirus est quelque chose d’assez unique. Mais le Bengale, depuis 1947, a été plusieurs fois le lieu de crises humanitaires dramatiques, avec tous les mouvements des populations musulmanes qui ont été chassées vers le Pakistan oriental, qui est devenu le Bangladesh. Ensuite il y a eu la famine de 1971, il y a eu des cyclones… Donc je pense que le père Laborde en a traversé pas mal, des situations de crise!

D’ailleurs j’ai été très touché quand l’année dernière j’ai monté le programme d’aide alimentaire d’urgence, car c’est parvenu à ses oreilles. Je ne parlais pas avec lui tous les jours, mais il était très heureux que HSP (son ONG) poursuive cette tradition du secours d’urgence aux populations, même si ce n’est pas notre première activité puisque nos programmes se situent plutôt sur le long terme, avec l’éducation des enfants, cela se situe sur des années. Mais de temps en temps, il faut quand même mettre en place des aides d’urgence.

Comment se comportent ces Indiens pauvres face à l’adversité ? Ont-ils quelque chose à nous apprendre notamment au niveau de leur attitude spirituelle?

Au-delà du courage, c’est l’attitude spirituelle des pauvres, leur confiance en Dieu, qu’on retrouve aussi chez les enfants, parce qu’ils sont élevés dans cette atmosphère. Les enfants aiment prier. Les pauvres prient, ils prient tout le temps, et ils sont dans cette attitude de confiance. Et c’est ça la grande leçon que je reçois chaque jour de ces enfants avec qui je prie, c’est cette confiance. Et ces femmes admirables dans les slums, qui se battent, et qui ont en même temps cette grande confiance dans la Providence.»

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29 avril 2021, 15:13