Augmentation des prix des denrées alimentaires au Yémen, en raison des pénuries de pétrole. Des épices au marché du centre historique de Sanaa, le 24 septembre 2020. Augmentation des prix des denrées alimentaires au Yémen, en raison des pénuries de pétrole. Des épices au marché du centre historique de Sanaa, le 24 septembre 2020. 

Le spectre de la famine plane de nouveau sur le Yémen

L'absence de dons, l’intensification des combats ou encore la pandémie galopante de Covid-19 entravent la distribution de l’aide alimentaire aux populations yéménites les plus menacées par la malnutrition, soit plus de 20 millions de personnes. Le Programme alimentaire mondial interpelle la communauté internationale pour qu’elle n’oublie pas le Yémen que la guerre a plongé dans une grave crise économique.

Entretien réalisé par Marie Duhamel - Cité du Vatican

Les agences des Nations unies se trouvent dans l’incapacité de secourir comme elles le souhaiteraient la population du Yémen. Elles ont été contraintes d’interrompre les services de santé dans plus de 300 établissements à travers le pays entre les mois d’avril et d’août et de réduire les distributions de nourriture en l'absence de financement, a annoncé ce mercredi Lisa Grande, la coordinatrice humanitaire de l’ONU pour le Yémen.

Lors d’une conférence des donateurs virtuelle en juin dernier, les Nations unies n’ont réuni qu’environ la moitié des 2,4 milliards de dollars nécessaires pour couvrir leurs activités humanitaires au Yémen.

Manque de moyens

Dans une rare invective formulée mi-septembre devant le conseil de Sécurité, le secrétaire général adjoint des Nations unies pour les affaires humanitaires, Mark Lowcock, dénonçait le fait que, en outre, plusieurs pays n’aient pas encore honoré leurs promesses de dons, notamment l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Koweït qui ont «une responsabilité particulière assumée ces dernières années», expliquait-il, au Yémen. Ces trois pays sont engagés depuis 2015 aux côtés des autorités yéménites pour reprendre le contrôle du territoire actuellement aux mains des rebelles chiites Houthis.

Depuis le Koweït a versé 20 millions de dollars et Ryad a «récemment» contribué à hauteur de 138 millions de dollars, affirme le Programme alimentaire mondial. Les Saoudiens sont les plus importants donateurs derrière les États-Unis (272 millions de dollars), devant l’Allemagne (103 millions), l’UE (53 millions) et le Royaume-Uni.

Ces contributions restent insuffisantes. À New-York, Mark Lowcock mettait en garde contre «le spectre de la famine» qui menaçait à nouveau le pays. Aujourd’hui, plus de 20 millions de Yéménites souffrent de la faim, ce qui représente 80% de la population. «Continuer à retenir de l'argent pour la réponse humanitaire revient à une condamnation à mort pour de nombreuses familles», avertissait-il.

Intensification des combats

Dans un communiqué publié ce mercredi, le Programme alimentaire mondial affirme avoir reçu la moitié des 2,5 milliards de dollars nécessaires à renforcer la sécurité alimentaire au Yémen en 2020. Le directeur exécutif du PAM, David Beasley assure que si l’agence a réussi en 2018 à «empêcher le Yémen de sombrer. Nous pouvons le faire à nouveau, si nous avons les fonds et l'accès».

«L'aéroport de Sana'a a été fermé, ce qui a entraîné l'immobilisation des travailleurs humanitaires à l'intérieur et à l'extérieur du Yémen» explique Tiphaine Walton, porte-parole du Programme alimentaire mondial à Paris, qui mentionne également «un différend politique sur les importations de carburant à Hodeidah» qui a entraîné la pénurie d’or noir, non sans conséquence sur la livraison de nourriture, entre autres.

Récemment, Human Rights Watch a mis en garde contre les «conséquences mortelles» des obstructions des deux parties empêchant la distribution de l'aide. L’ONG a ainsi évoqué «de longs délais pour l'approbation des projets d'aide, le blocage des évaluations des besoins des populations, les tentatives de contrôle de l'aide et des listes de bénéficiaires».

Les conflits se sont intensifiés sur plus de 40 lignes de front, notamment dans le centre du pays, et il n’est pas évident pour les équipes du PAM d’avoir accès aux populations les plus touchées.

«Au cours des six derniers mois, les familles des zones contrôlées par les autorités de Sanaa n'ont reçu une aide alimentaire qu'un mois sur deux, le PAM s'efforçant d'utiliser au mieux ses ressources limitées et d'éviter une interruption totale de l'aide. Mais cela a rendu la vie plus difficile à des millions de personnes : en trois mois seulement, le nombre de personnes ayant une consommation alimentaire insuffisante dans ces zones est passé de 28 à 43 %» affirme un communiqué du PAM.

Enfin le contexte économique du pays est critique, explique Tiphaine Walton : le coût des denrées alimentaires de base est à son point le plus élevé et la monnaie a perdu 25 % de sa valeur rien qu'en 2020, soit 70 % par rapport à sa valeur d'avant-guerre.

S’ajoute à cela, l’arrivée du nouveau coronavirus, avec des structures de santé inexistantes ou incapables de soigner d’éventuels malades. Officiellement, le Yémen a enregistré plus de 2000 cas de Covid-19 dont 583 décès, mais les chiffres pourraient être bien plus élevés.

Entretien avec Tiphaine Walton, du Programme alimentaire mondial à Paris

Parmi les 20 millions de personnes en situation d'insécurité alimentaire au Yémen, 13 millions dépendent de l'aide alimentaire du PAM. Pour continuer à les nourrir ces six prochains mois, plus de 500 millions de dollars sont nécessaires, dont 150 millions pour la seule fin de l'année. 

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25 septembre 2020, 12:29