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Un professeur de droit (à g.) et l'ancien secrétaire de l'éducation (à dr.) manifestent contre la loi anti-terroriste devant la Cour suprême à Manille, le 6 juillet 2020 Un professeur de droit (à g.) et l'ancien secrétaire de l'éducation (à dr.) manifestent contre la loi anti-terroriste devant la Cour suprême à Manille, le 6 juillet 2020 

Philippines: le sort de loi antiterroriste dans les mains de la Cour suprême

La Cour suprême des Philippines est appelée à examiner ce lundi la nouvelle loi promulguée vendredi dernier par le président Duterte. À l’instar de l’opposition ou des défenseurs de droits de l’homme, les Églises chrétiennes s’opposent au projet qui, écrivent-elles, «provoque un nouveau rétrécissement de l’espace démocratique».

La loi promulguée vendredi par le chef de l’État, après l’aval du Parlement, propose de lutter contre le terrorisme. Dans le sud de l’archipel, l’armée combat en effet toujours une rébellion communiste dans les campagnes ainsi que le groupe Abou Sayyaf qui se revendique de l’État islamique et perpétue encore des attentats.

Des pouvoirs étendus aux forces de sécurité

Le nouveau texte prévoit l’institution d’un conseil dont les membres, issus du gouvernement, auront le pouvoir d’ordonner des arrestations sans mandat. Il autorise également les détentions de personnes suspectées de terrorisme jusqu’à 24 jours sans aucun chef d’accusation, bien plus que le délai de 3 jours fixée par la Constitution.

La loi définit le terrorisme comme l’intention de blesser ou de tuer; de porter atteinte au gouvernement ou à la propriété privée; d’utiliser des armes de destruction massive pour «diffuser un message de peur» ou intimider le gouvernement.

Une définition des plus vagues qui fait craindre une vague de répression contre les détracteurs des autorités au pouvoir. Certains d’entre eux sont déjà incarcérés ou en cours de procédure judiciaire pour avoir critiqué la campagne de lutte contre la drogue, rapporte l’AFP. Dans un rapport publié le mois dernier, l’ONU estime que la «guerre» engagée par le président Duterte contre le narcotrafic aurait fait plus de 8 600 morts en quatre ans, avec une «quasi-impunité» pour les auteurs des crimes. Des ONG évoque un bilan allant jusqu’à 27 000 morts.

La démocratie menacée

La haut-commissaire aux Droits de l’homme de l’ONU, Michelle Bachelet, a fait part de ses inquiétude: la loi pourrait brouiller la distinction entre critique et terrorisme.

Avec cette nouvelle loi anti-terroriste, «le président Duterte a précipité la démocratie philippine dans un abysse», a affirmé le directeur adjoint pour l’Asie de Human Rights Watch. «Sous la présidence de Duterte, même les critiques les plus modérées contre le gouvernement peuvent être qualifiées de terroriste» a estimé son homologue chez Amnesty international.

L’Église inquiète, aux côtés de la société civile

Dans une déclaration commune signée début juin, les Églises chrétiennes des Philippines se sont joints aux milliers de personnes –des avocats, professeurs et élus- qui ont manifesté dans le pays ces derniers mois, pour exprimer leurs inquiétudes concernant la loi anti-terroriste promulguée vendredi. Selon les signataires, la loi risque de «piétiner insidieusement» les droits de l’homme et se prête à des abus. Ils craignent un «nouveau rétrécissement de l’espace démocratique et un affaiblissement du débat public préjudiciable» à la nation.

Dans une déclaration envoyée à l’agence Fides, le clergé de l’archidiocèse de Manille estime que «la liberté d'expression, les droits au respect de la vie privée, à la propriété, à la liberté de mouvement et de conscience ne seront plus garantis » avec la promulgation de cette loi qui écrivent-ils «permet l'espionnage, la confiscation des propriétés et la détention au-delà du délais légalement permis». Ils s’inquiètent également pour la remise en question du droit à la critique «caractéristique d’une saine démocratie» qui pourrait être interprétée comme de l’incitation au terrorisme. «Utiliser cette mesure pour réduire au silence les détracteurs donnera à ce gouvernement le feu vert également face à l'inefficacité, à l'incapacité et aux abus» affirment les prêtres qui parlent d’un possible «terrorisme du gouvernement contre son propre peuple».

Inquiet, Mgr Jose Colin Bagaforo, l’évêque de Kidapawan et membre du Secrétariat pour l'action sociale de la Conférence épiscopale, a invité la Cour Suprême à examiner la constitutionnalité du texte. C’est ce qu’elle est appelée à faire dès aujourd’hui.

Le gouvernement a promis de respecter la décision de la plus haute autorité de justice du pays.

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06 juillet 2020, 12:06