Un village de la province de Cabo Delgado dans le nord du Mozambique, aprés le passage des djihadistes, le 13 avril 2020. Un village de la province de Cabo Delgado dans le nord du Mozambique, aprés le passage des djihadistes, le 13 avril 2020.  

Les insurgés djihadistes montent en puissance au Mozambique

D'une secte dans la forêt à un groupe possédant un territoire établi sur lequel il cherche à instaurer la charia. Dans le nord du Mozambique, le groupe Al-Shabab devient de plus en plus puissant et multiplie les exécutions dans un territoire pauvre et isolé, propice au djihadisme.

Entretien réalisé par Marine Henriot - Cité du Vatican

C’est une zone à l’extrême nord du pays, à l’opposé de la capitale Maputo: la province de Cabo Delgado. Le groupe de djihadistes Al-Shabab sèment la terreur depuis 2017. Le 7 avril dernier, plus de 50 civils ont été tués lors d’une attaque attribuée par les autorités à cette organisation terroriste. Le «massacre», selon le porte-parole de la police, s’est produit lorsque les jeunes du village ont refusé de rejoindre les rangs des islamistes, «les jeunes ont résisté, ce qui provoqué la colère des malfaiteurs». 

Malgré la découverte de gigantesques réserves de gaz en 2013 et l’exploitation de gisements de pierre et de rubis, la région souffre d’une pauvreté accrue. Le développement de l’industrie est en cours et des groupes industriels, comme Total ou Eni, y développent des ports et aéroports pour exploiter les richesses naturelles. Un développement industriel qui ne profite pas, ou peu, à la population, suscitant une certaine aigreur de la part des locaux. «Il y a beaucoup de tensions et de ressentiment, les gens se plaignent qu’ils perdent leurs terres au profit des entreprises», explique le chercheur Eric-Morier Genoud, de l’université Queen’s à Belfast en Irlande du Nord. La situation aiguise les tensions existantes. Dans la province de Cabo Delgado, l’économie informelle ou illégale est reine, et nombreux sont ceux qui subsistent avec le trafic de bois ou d’héroïne.

Rapprochement avec l’État islamique 

Isolement, faible présence de l’État, pauvreté… Le terreau est fertile pour les groupes djihadistes, et compte une forêt dense, propice à l’installation d’une insurrection armée. D’abord une secte marginalisée dans des camps en forêt, Al-Shabab est monté en puissance ces derniers mois, notamment après la saisie de matériel à l’armée. Selon Eric Morier-Genoud, ces djihadistes sont actifs sur un territoire de 300 kilomètres de long et 150 de large, sur lequel ils mettent en place une stricte application de la charia. La méthode d’Al-Shabab est simple: semer la terreur dans les villages, avertir du pire et revenir quelques mois plus tard pour vérifier si les nouvelles normes sont suivies par des villageois apeurés.

Autre vecteur de puissance, la récente allégeance d'Al-Shabab à l’organisation de l’État islamique. Depuis, la communication du groupe mozambicain s’est accrue, elle est devenue plus précise. Le mois dernier dernier, Al-Shabab faisait même la couverture du magazine hebdomadaire de l’EI. Mais cette allégeance n’est pas du goût de tous: «Certains insurgés ne sont pas contents et insistent bien sur le fait qu’ils sont des locaux», détaille le spécialiste du Mozambique. 


L’appel à des sociétés étrangères

L’État mozambicain, qui auparavant évoquait des «bandits» dans la province de Cabo Delgado, semble désormais avoir pris conscience de la gravité de la situation, et parvient pour l’instant à contenir le territoire d’Al-Shabab sur une zone limitée. Mais depuis quelques mois, le gouvernement reconnaît sa difficulté à faire face au groupe et fait appel à des sociétés étrangères pour instaurer l’ordre. «Des mercenaires étrangers sont arrivés, comme Wagner, une société privée proche du Kremlin, venue sans grande préparation», relève Eric Morier-Genoud, ajoutant que sont également arrivés des mercenaires sud-africains notamment. Ces mercenaires, qui débarquent sans être bien préparés, font craindre l’arrivée d’autres sociétés privées. «Ces sociétés sont là avant tout pour faire de l’argent, et non des relations avec la population», affirme le chercheur. Leur présence risque en effet d’enflammer et d'internationaliser la situation dans cette poudrière nord-mozambicaine.

Entretien avec Éric Morier-Genoud, spécialiste du Mozambique

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24 avril 2020, 11:59