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Des policiers dans une rue de New Delhi touchée par les manifestations, le 28 février 2020 Des policiers dans une rue de New Delhi touchée par les manifestations, le 28 février 2020 

Inde: une flambée de violence non réductible à des émeutes inter-communautaires

Ces derniers jours, la capitale indienne New Delhi a été ébranlée par un déchaînement de colère en raison de l’adoption d’une loi sur la citoyenneté jugée discriminatoire envers les musulmans. Les opposants à la loi et leurs détracteurs se sont violemment confrontés, et la tension reste vive malgré une apparente accalmie. Ces heurts s'inscrivent dans un contexte de montée du nationalisme hindou depuis plusieurs années, mais on ne peut pas les réduire à une simple opposition entre hindous et musulmans, d’après Jean-Luc Racine, directeur de recherche émérite au CNRS.

Entretien réalisé par Adélaïde Patrignani – Cité du Vatican

Après quatre jours de violence, la situation semble se stabiliser à New Delhi. Quelques incidents isolés se sont produits dans la nuit de mercredi à jeudi dans la capitale indienne, mais aucune nouvelle flambée majeure n'est survenue. Les émeutes opposant extrémistes hindous et musulmans ont fait au moins 38 morts et 330 blessés, avec des scènes de guérilla urbaine jamais vue depuis les massacres de Sikhs en 1984 en représailles à l'assassinat d'Indira Gandhi.

La crainte d’une mise au ban des musulmans

Les affrontements ont éclaté dimanche soir lorsque des groupes hindous se sont opposés à une manifestation de musulmans contre une loi controversée adoptée le 11 décembre par la majorité BJP au pouvoir. Cette législation facilite l'attribution de la citoyenneté indienne à des réfugiés du Bangladesh, de l’Afghanistan ou du Pakistan, à la seule condition qu'ils ne soient pas musulmans. Une mesure jugée discriminatoire envers les musulmans, qui représentent 14% de la population d’un pays en grande majorité hindoue, soit environ 200 millions d’habitants sur un total de 1,3 milliard. Le projet de Registre national de citoyenneté suscite aussi la colère: il s’agit d’un recensement au cours duquel les résidents indiens devraient prouver leur citoyenneté sous peine d’être déclarés étrangers, et par extension apatrides.

La virulence d’extrémistes hindous

Les évènements de New Delhi représentent un tournant par leur violence, car les manifestations ont commencé à secouer l’Inde dès le mois de décembre, mais dans un esprit pacifique. «C’est la violence qui a répondu à la protestation», résume Jean-Luc Racine, directeur émérite de recherche au CNRS. «Dans les manifestations contre cette loi, il y a des hindous et des musulmans», précise-t-il, et aussi des chrétiens. Il ne faut donc pas réduire ce mouvement à des «émeutes communautaires», opposant les musulmans aux hindous. Ce sont «des mouvements militants radicaux hindous foncièrement anti-musulmans» qui s’en sont pris aux manifestants dans la capitale indienne.

«Ce qui est inquiétant c’est que cela illustre à quel point dans le pays, il y a aujourd’hui des minorités actives au sein du parti nationaliste hindou», note Jean-Luc Racine.

Quant à savoir si le gouvernement reviendra sur sa décision, «c’est très peu probable», mais «rien n’est impossible», explique le chercheur. La loi sur la naturalisation «restera», mais les discours de Narendra Modi et de Amit Shah (Ministre de l'Intérieur et bras droit de Narendra Modi) s’opposent concernant le Registre national de citoyenneté.

Le Premier ministre Narendra Modi, au pouvoir depuis 2014 et largement réélu l’année dernière, a lancé mercredi un appel «à la paix et à la fraternité». Toutefois le discours du chef du gouvernement nationaliste ne semble pas convaincre… Ses détracteurs l'accusent notamment de vouloir transformer l'Inde laïque en un pays purement hindou.

Entretien avec Jean-Luc Racine

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28 février 2020, 12:03