Dans une rue de Téhéran, la capitale iranienne - 19 février 2020 Dans une rue de Téhéran, la capitale iranienne - 19 février 2020 

En Iran, des élections législatives verrouillées sur fond de crise

58 millions d’Iraniens, sur les 83 millions d’habitants que compte la république islamique, sont attendus aux urnes ce 21 février, pour le premier tour des législatives. Le Guide Suprême et ses collaborateurs ont cherché à renforcer leur contrôle sur le processus électoral, alors que de nombreux iraniens sont sortis manifester ces dernière semaines, remettant en cause la crédibilité du régime.

Entretien réalisé par Adélaïde Patrignani – Cité du Vatican

Ces élections législatives permettront de renouveler pour quatre ans les 290 membres de la chambre basse du Parlement, les Majlis. Mais l’enjeu est aussi stratégique. Historiquement, ce scrutin est «une préparation pour les élections présidentielles», rappelle Clément Therme, chercheur post-doctorant au CERI, au sein de l’équipe “savoirs nucléaires” de Sciences Po Paris. Il s’agit donc d’un «tournant organisé par le Guide Suprême pour organiser la succession du président Rouhani», qui aura lieu l’année prochaine. Un tournant «préparé notamment par la disqualification des candidats réformateurs par le Conseil des Gardiens de la Constitution, qui agit comme un filtre».

Une population qui n’est pas dupe

Ainsi, la quasi-totalité des candidats réformés ou modérés ont été exclus, et au total, seuls 5000 des 14500 candidats ont été autorisés à concourir pour ces législatives, pour la plupart de la frange conservatrice et radicale. Ce choix, qui a fait polémique dans le pays, démontre un repli sécuritaire et met à l’épreuve le président modéré Hassan Rouhani et sa coalition, a priori trop fragiles pour l’emporter au Parlement.  

Mardi, celui-ci a appelé les iraniens a voté en masse, qualifiant la consultation de «très importante»… mais pour l’heure, beaucoup s'attendent à un taux d'abstention sans précédent. «Les attentes sont très faibles car la population est consciente du caractère factice de l’alternance entre réformateurs et conservateurs en République islamique, organisée depuis les années 1990. Il s’agit aujourd’hui d’un débat interne entre islamistes», estime Clément Therme. Par ailleurs, la défiance des Iraniens envers leurs gouvernants est de plus en plus forte. «La majorité de la population souhaite une forme de normalité», explique le chercheur, mais «il y a n’a pas d’espoir, de croyance, au niveau populaire, d’une possibilité d’exprimer par le vote ce mécontentement et ce besoin d’avoir des solutions aux problèmes de la vie quotidienne, qu’ils soient économiques, politiques ou juridiques».

S’assurer que rien ne changera

Si le Parlement «est plutôt un lieu de débat que de prise de décisions», sa domination par le clan conservateur pourrait confirmer des tendances déjà présentes en Iran. La stratégie de l’ayatollah Khamenei est en effet «de réduire le débat à l’intérieur de l’establishment politique dans un contexte de tensions avec l’extérieur et de repli sur soi de la République islamique», laquelle «se ferme petit à petit au monde extérieur par crainte d’une déstabilisation et d’un lien qui se développerait entre la contestation interne et les ambitions géopolitiques des États-Unis de changer le régime iranien».

Le vote survient dans un contexte national et international défavorable pour les autorités du pays: une crise économique, une aggravation des sanctions américaines, de vives tensions régionales suite à l’assassinat du général Qassem Soleimani début janvier, et surtout contestation croissante de la part de la population après le bombardement par erreur d’un avion ukrainien le 8 janvier. Le régime islamique fait face à une «crise de crédibilité», souligne Clément Therme. Ces élections devraient lui permettre de la retrouver, mais en apparence seulement.

Analyse de Clément Therme

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20 février 2020, 08:17