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Les militants du Parti Colorado fêtent la victoire de leur candidat, le 22 avril 2018 à Asuncion. Les militants du Parti Colorado fêtent la victoire de leur candidat, le 22 avril 2018 à Asuncion. 

Paraguay: le Parti Colorado remporte l'élection présidentielle

Le nouveau président Mario Abdo Benitez est issu du Parti Colorado, comme son prédécesseur Horacio Cartes, dont il n’est toutefois pas un proche. Fils du secrétaire personnel de l’ancien dictateur Alfredo Stroessner, Mario Abdo Benitez a remporté l’élection présidentielle à la majorité relative de 46,44%, dans le cadre d’un scrutin à un seul tour.

Cette élection s’inscrit donc dans une logique de continuité. Mis à part la parenthèse de gauche de la présidence de Fernando Lugo de 2008 à 2012 (remplacé de 2012 à 2013 par son vice-président libéral Federico Franco), le Parti Colorado domine la vie politique du pays depuis 70 ans.

La coalition de l’opposition autour du candidat libéral Efrain Alegre avait suscité un espoir d’alternance, le candidat étant soutenu à la fois par le Frente Guasu (Front de Gauche) de Fernando Lugo et par le maire d’Asuncion Mario Ferreiro, dissident du Parti Colorado. Efrain Alegre a échoué avec un score toutefois honorable de 42,74%, beaucoup plus élevé que ne le prévoyaient les sondages qui le situaient à 20 points derrière le Parti Colorado.

Un climat d’apathie et de découragement

Cette alliance très hétérogène n’a pas suscité l’adhésion d’une majorité de la population, malgré l’usure du Parti Colorado au pouvoir, fait remarquer Raul Ricardi, sociologue et professeur à l’Université Nationale d’Asuncion. «Cela a été une campagne électorale très particulière, vécue par la société paraguayenne avec apathie, et elle a été vue comme une formalité, avec un désintérêt général pour les propositions des partis. Les gens sont découragés, et ils pensent que le vote ne sert pas à grand-chose face aux grand intérêts qui enserrent le Paraguay, des grands groupes industriels aux mafias et au narcotrafic.»

Un manque d’intérêt pour les classes populaires

La victoire du Parti Colorado ne fait rien d’autre que «renforcer les intérêts des entreprises, les privilèges concédés aux grands groupes, pensons aux multinationales du soja, alors que le manque d’intérêt pour les classes populaires et l’expulsion de leur territoire des communautés paysannes», regrette Raul Ricardi, interrogé par l’agence Sir. Au Paraguay, 85% des terres cultivables sont détenues par 2% des propriétaires terriens.

Le drame du narcotrafic

«Mais le vrai drame qui prend le pays en tenaille, explique le sociologue, c’est celui du narcotrafic et ses connexions avec la classe politique». D’autre part, même si une victoire d’Alegre aurait pu changer beaucoup de choses, le Parti Libéral est lui aussi très lié aux intérêts privés. Il n’existe donc pas de conditions pour une mobilisation populaire autour d’un leader qui aurait pu rassembler les gens et transformer l’indignation en proposition. L’Église, elle, dispose encore d’un réel crédit dans la population car «elle a une fonction historique au Paraguay en maintenant une attention sur les thèmes sociaux, et même avant les élections elle a élaboré un document pour accompagner les citoyens dans le choix.»

Le cancer de la corruption

Mgr Ricardo Jorge Valenzuela, évêque de Caacupé, le grand sanctuaire marial visité par le Pape en juillet 2015, avait tenu le 8 décembre dernier une homélie dans laquelle il invoquait la nécessité de changements radicaux pour la société, et il avait dénoncé la crise morale dans de vastes strates du pouvoir politique et judiciaire. Il confirmait hier à l’agence Sir que «le défi le plus grand que le pays affronte est la lutte contre la corruption, qui est très grande et ramifiée», avec une responsabilité de la part de l’État et des institutions, explique-t-il. «Dans notre pays c’est comme un cancer, qui laisse sans défense les gens simples et pauvres».

La population épuisée par la pauvreté

Près de 20% de la population vit sous le seuil de pauvreté, et 10% dans un état de pauvreté extrême. L’évêque de Caacupé affirme avoir remarqué durant cette campagne électorale «beaucoup de défiance de la part des gens, que ce soit envers le parti de gouvernement, que certains considèrent comme propriétaire de l’État et n’a pas respecté la Constitution en de nombreux aspects, mais aussi envers l’opposition. Et parmi les candidats il y avait des chanteurs, des artistes, des mannequins, des sportifs… mais il y a un manque de vraies personnalités politiques, en mesure de faire des propositions nouvelles», regrette-il. Et ainsi le pays, presque par inertie, est resté dans les mêmes mains que d’habitude, bien que sans conviction et avec peu d’espérance dans le futur.

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23 avril 2018, 13:00