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Des membres de deux maras, Salvatrucha et Barrio 18, à la prison de Ciudad Barrios, à  El Salvador. Une photo mise à disposition des médias par la présidence salvadorienne, à l'occasion des trois ans de présidence de Nayib Bukele. Des membres de deux maras, Salvatrucha et Barrio 18, à la prison de Ciudad Barrios, à El Salvador. Une photo mise à disposition des médias par la présidence salvadorienne, à l'occasion des trois ans de présidence de Nayib Bukele.  Les dossiers de Radio Vatican

Evangéliser en pleine guerre des gangs au Salvador

Après un pic de violence fin mars, le président du pays a décrété l’état d’exception pour lutter contre les «maras», ces redoutables bandes criminelles qui sèment la mort dans le pays. Dans un quartier pauvre de San Salvador, les volontaires de Point-Cœur témoignent d’un climat de tension croissante, qui ne les décourage pas de continuer à témoigner de la joie de l’Evangile.

Marie Duhamel – Cité du Vatican

Il a troqué son statut de millénium pour celui de chef de guerre. Au Salvador, Nayib Bukele a été élu il y a tout juste trois ans. À 37 ans, il devenait le plus jeune président du continent, le premier à arriver à la tête de l’État sans faire partie des formations politiques qui se partagent le pouvoir depuis la fin de la guerre civile en 1992.

Le Salvador a une réputation de violence. Il fait partie du palmarès des pays les plus dangereux au monde, hors zone de conflits, notamment en raison de la présences de gangs armés, les «maras» qui pourrait compter jusqu'à 70 000 membres. «Tout le monde connait les maras. Cela fait partie de la vie du pays» affirme Cécile Formeaux, responsable du Point-Cœur de San Salvador depuis deux ans. «Ils peuvent donner lieu à une certaine violence même dans les quartiers où ils sont moins présents, il n'est pas sûr de prendre le bus, il y a des enlèvements».

Lutte contre la criminalité

Pour en finir avec cette réalité, le jeune président fait de la lutte contre la criminalité une de ses priorités lorsqu’il arrive au pouvoir. Il instaure un plan de contrôle du territoire. Un déploiement massif des forces de l’ordre auquel il attribue le taux d’homicide le plus bas en trente ans en 2021, avec 1 147 morts (contre 2 398 en 2019). Un chiffre toutefois contesté. Certains analystes font noter qu’il ne prend pas en compte les disparitions, d’autres soulignent que la chute du nombre d’homicides serait le fait d’un accord passé par l’exécutif avec les gangs.

Le président fête ses trois ans de pouvoir.
Le président fête ses trois ans de pouvoir.

Toujours est-il que fin mars, le président reçoit un camouflet : en un week-end, 87 personnes sont tuées. Des assassinats qui poussent le président à décréter l’état d’exception. Les rassemblements sont suspendus, tout comme l’inviolabilité des correspondances. Les mises sur écoutes sont autorisées sans mandat. Les gardes à vue sont étendues à 15 jours. Dans la foulée, le parlement décide de punir la diffusion des messages des gangs par la presse et renforce les peines de prison pour les membres des maras.

L'armée dans la rue

«Quelque chose a changé, confirme Cécile Formeaux, il y a beaucoup plus de police ou d’armée qui circule dans la ville et dans notre quartier. On sent chez les personnes de notre quartier qu’on connait bien, une espèce de tension, une peur croissante. Après, ils continuent leur vie. Ils ont pas vraiment le choix. Ils vont travailler mais ce n’est pas une ambiance très facile. Toute personne peut se faire contrôler à tout moment. Les volontaires (de Point-Cœur) ne sortent plus après 20heures, et pas dans la journée s’ils ne sont pas accompagnés. »

Depuis l’état d’exception, les arrestations se multiplient. Au 1er juin, près de 35 000 membres de gangs présumés ont été arrêtés et jeté en prison, sans passer devant le juge, rejoignant les 16 000 membres des maras déjà incarcérés. La politique sécuritaire du président a fait décoller sa côte de popularité, passant de 71% en novembre 2021 selon un sondage de l'Institut Mitofsky à 91% selon une récente enquête de l'Institut Cid Gallup. Elle suscite en revanche des critiques venant d'organisations internationales de défense des droits de l'Homme, qui dénoncent les arrestations arbitraires, les conditions de détention des détenus et une dérive autoritaire du pourvoir.

Protestation en marge du sommet des Amériques organisé le 6 juin à Los Angeles.
Protestation en marge du sommet des Amériques organisé le 6 juin à Los Angeles.

Les pauvres en proie à des questions morales

Jamais les volontaires de Point-Cœur n’ont assisté à un meurtre ou n’ont vu la violence des maras, mais celle-ci est bien présente. Installés au cœur du quartier défavorisé de Don Bosco, les volontaires de Point-Cœur perçoivent la présence des maras. Ils voient ainsi les mères de familles nombreuses vivre avec la peur de voir un enfant entrer dans les gangs, ce qui lui assurerait une vie plus facile. Il n’y a pas de travail et la plupart des Salvadoriens vivent au jour le jour, explique Cécile Formeaux. Ils préfèrent faire des petits boulots, «vendre trois bonbons dans le bus» poursuit-elle, que de mendier. Mais certains hommes font le choix des gangs, ce qui implique d’embrasser la violence, note la responsable de Point-Cœur à San Salvador, car «il faut faire ses preuves». Elle souligne le paradoxe entre la violence existant dans le pays et la foi ardente des Salvadoriens, fiers du nom de leur pays.

Le centre Points-Cœur d'El Salvador
Le centre Points-Cœur d'El Salvador

L'expérience de la visitation

Dans un tel contexte, «l’expérience que font les volontaires de Point-Cœur c’est la visitation. Le Seigneur vient en personne, à travers les volontaires, voir les gens du quartier qui, de fait, croit déjà dans le Seigneur, ont déjà la foi, mais ils ont besoin de sentir Sa présence de manière tangible, de sentir qu’il y a un espoir, qu’ils sont aimés. Ils ont un très grand respect pour le Christ, pour Dieu, ça fait vraiment partie de leur vie, mais la vie est tellement difficile qu’ils ont besoin de signes concrets de l’amour du Christ à travers les volontaires qui viennent les visiter, les consoler. Donc c’est une œuvre d’évangélisation qui vient raffermir l’espérance et la foi des gens. Et aussi, par rapport aux enfants, les volontaires ont une belle mission de montrer l’exemple d’une vie tournée vers Dieu, là où les familles n’arrivent pas forcément. C’est pas toujours facile pour les parents donc toute la mission des volontaires c’est, par leur vie de prière, de douceur, de montrer qu’une vie tournée vers Dieu est possible».

Entretien avec Cécile Formeaux, responsable de Point-coeur à El Salvador

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10 juin 2022, 08:30