Jean-Marc Sauvé, président de la Ciase. Jean-Marc Sauvé, président de la Ciase. 

La riposte de la Ciase aux critiques de l’Académie catholique de France

Fin novembre, huit membres de l’Académie catholique de France avaient manifesté leur réprobation à propos du rapport de la Ciase sur les abus sexuels dans l’Église de France publié le mois précédent. Dans une longue réponse doublée de deux expertises publiées mercredi 9 février, la commission présidée par Jean-Marc Sauvé réfute point par point les critiques reçues.

Adélaïde Patrignani – Cité du Vatican

C’était un document que Jean-Marc Sauvé avait annoncé, pour ne pas laisser sans réponse le sévère réquisitoire rédigé fin novembre par l’Académie catholique de France, instance non officielle née en 2008, qui rassemble quelque 200 à 250 intellectuels catholiques en son sein. Certains d’entre eux avaient notamment dénoncé la «méthodologie défaillante» du rapport de la Commission Indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE) publié début octobre, semant le trouble parmi les fidèles de l’Église de France et alimentant les controverses autour d’un rapport lu au-delà des frontières de l’Hexagone. Les académiciens avaient de surcroît mis en doute les chiffres avancés par la Ciase, selon laquelle 330 000 personnes mineures avaient fait l’objet de violences sexuelles de la part de clercs, de religieux ou de laïcs en lien avec l’Église, depuis 1950.


Une méthodologie valable

La réponse de la Ciase parue mercredi 9 février réfute méthodiquement, en pas moins de 53 pages, les accusations de l’Académie catholique de France. L’expertise de cinq spécialistes de la méthodologie des enquêtes et de la théorie des sondages et celle de François Héran, ancien directeur de l'Ined et professeur au Collège de France, viennent l’étayer.

Car c’est l’un des principaux points de l’argumentaire de la Ciase, qui s’attache à démontrer d’abord la solidité du dénombrement des victimes et des pédocriminels dans l’Église. Les deux expertises «saluent le sérieux des précautions de méthode prises» par l’Inserm, relève la Ciase sous la plume de son président Jean-Marc Sauvé, selon lequel «l’émotion légitime suscitée par les chiffres […] ne justifiait ni leur déni obstiné, ni (leurs) tentatives de disqualification».

La Ciase précise ensuite ce qu’elle entend en qualifiant de «systémique» les violences sexuelles dans l’Église, pour dissiper tout malentendu. «Ce mot ne veut pas dire, comme semble le croire l’Académie, que l’institution aurait délibérément et systématiquement organisé un système d’abus sexuels à grande échelle», souligne-t-elle, dénonçant en revanche une «passivité prolongée» de la part de l’institution.

À chacun son rôle

Elle aborde ensuite des aspects philosophiques et théologiques, en s’appuyant notamment sur des textes du Magistère pour évoquer les abus de pouvoir, le sens du sacerdoce ou l’anthropologie chrétienne. «La Commission a le sentiment qu’aucune de ses recommandations ne porte atteinte à la doctrine de l’Église catholique, peut-on lire. Son mandat n’était ni théologique, ni exégétique, ni ecclésiologique, et encore moins doctrinal. N’en déplaise à ses détracteurs, la Ciase n’entend pas dicter la loi de l’Église», rectifie-t-elle vigoureusement.

Après avoir analysé des questions juridiques et financières déjà détaillées dans son rapport, la Ciase décrit enfin les conditions de publications de celui-ci, et réaffirme la légitimité des membres de la commission, mise en doute par l’Académie catholique. «Les griefs de l’Académie ont des racines plus profondes. Celle-ci n’accepte tout simplement pas que l’Église catholique ait confié à des laïcs, croyants ou non, c’est-à-dire à des personnes autres que des clercs, le soin d’éclairer le sujet de la pédocriminalité en son sein, d’évaluer la manière dont ces questions avaient été traitées et de faire toute recommandation utile», écrit la Ciase sans détour.


En dialogue avec le monde

Au terme de cet examen, «il ne reste rien des critiques très graves qui ont été adressées» à la commission, estime Jean-Marc Sauvé. «Au fond, l’Académie critique moins la Ciase et son rapport qu’elle ne manifeste son indifférence aux victimes» et souhaite préserver «une certaine idée de la protection de l’Église catholique», avait-il déploré dès les premières lignes. «Écouter les victimes, les faire passer du statut de de victimes à celui de témoins, relire les crimes commis au travers de leur récit pour en comprendre la nature profonde et en prévenir la récidive, s’efforcer sur ces bases de faire œuvre de justice» ont été les principales préoccupations des 21 membres de la Ciase, rappelait-il aussi, pointant par là du doigt le prisme restrictif des académiciens.

«Au final, les positions de l’Académie semblent à la Ciase très éloignées, pour ne pas dire aux antipodes, de celles du Pape François qui a prononcé des paroles sans appel sur les périls du cléricalisme et de l’autoréférentialité et sur le risque d’abus de pouvoir lié au sacerdoce», poursuit le président de la Ciase. Et de conclure par des mots qui pourraient résumer ce que s’est efforcé d’accomplir la commission par son rapport: «Parler au monde et recevoir du monde, tel est l’enjeu, pérenne mais aujourd’hui plus sensible que jamais, de l’Église catholique dans les années à venir».

Mgr Éric de Moulins-Beaufort et sœur Véronique Margron, respectivement à la tête de la Conférence des évêques et de la Conférence des religieux de France, instances commanditaires du rapport de la Ciase, ont quitté l’Académie catholique de France après le texte critique paru fin novembre.

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10 février 2022, 11:24