Dernier jour d'assemblée plénière de la Conférence des évêques de France, le 8 novembre 2021 à Lourdes. Dernier jour d'assemblée plénière de la Conférence des évêques de France, le 8 novembre 2021 à Lourdes.  

Abus: l’indemnisation financière, une matérialité réparatrice

En presque trois mois, l'Église de France a mis en place un dispositif complet de reconnaissance et réparation des victimes d'abus par le biais d'un fonds de dotation, abondé par les évêques, diocèses et fidèles qui le souhaitent, et une instance d'accompagnement des victimes, l'Inirr. Le fonds de dotation a déjà atteint la somme de 20 millions d'euros.

Delphine Allaire – Cité du Vatican

Près de trois mois après l’assemblée des évêques de France dans la cité mariale des Pyrénées, qui vit certains d’entre eux tomber à genoux pour demander pardon, où en est la batterie de résolutions historiques votées en assemblée plénière? Les deux organismes les plus tangibles, le fonds de dotation Selam et l’Inirr -Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation- sont constitués. Le premier, déjà opérationnel, sert à récolter des fonds en vue d’indemniser les victimes d’abus, le second à accompagner les victimes dans leur démarche de reconnaissance juridique, psychologique et sociale. L’esprit de ce dispositif est celui d’une justice restaurative à la hauteur des drames vécus.

Un fonds de dotation à triple mission

«S’il est impensable de réparer l’irréparable, l’indemnisation financière peut marquer la matérialité d’une décision et représenter un espace de médiation. Il n’est pas possible de réparer de tels dégâts dans la vie d’une personne, mais il est possible de matérialiser la reconnaissance et acter la volonté de réparer autant que possible le mal commis», avance ainsi Mgr Dominique Blanchet, évêque de Créteil (Val-de-Marne) et vice-président de la conférence des évêques de France.

Pour cela, la CEF s’est fixée une première étape à travers le fonds Selam, créé avant l’été 2021 et dont la publication du rapport Sauvé a fait évoluer l’objet et le calendrier. La mission est triple: trouver les moyens financiers pour accompagner les victimes dans ce travail de reconnaissance et de réparation; faire mémoire pour sensibiliser à ce drame; organiser et former l’Église à la prévention.

20 millions d'euros atteints

Premier objectif de ce long processus, la récolte d’une somme théorique de 20 millions d’euros, dont les premiers contributeurs sont les évêques en activité ou émérites, à titre personnel pour la plupart, les diocèses, et les fidèles qui le souhaitent. «Ce montant représente une étape forte. Les diocèses comme ils l'ont pu et voulu ont apporté leur première dotation. Les victimes représentent aussi une part non négligeable des donateurs», confie Gilles Vermot-Desroches, président du fond de dotation. À la tête d'un conseil d'administration d'une vingtaine de personnes, il en appelle à la générosité des cent diocèses de France. «Nous ne pouvons pas échouer, nous avons rendez-vous avec l’Histoire», soutient-il, saluant l’accélération d’une certaine opérativité «un peu plus de deux mois seulement» après Lourdes.

Des ressources financières différenciées

Pourtant, l’équation n’est pas simple, et la générosité, différenciée, selon l’armature économique des diocèses. Contribuer, inciter, sans grever les paroisses, ni toucher au Denier de l’Église. En Normandie, dans le diocèse de Rouen, «un diocèse moyen, ni riche, ni pauvre» selon les mots de son économe, l’ancien général de l’armée de terre Yves Poincignon, la première enveloppe est estimée à 200 000 euros. Le versement total doit s’effectuer début 2022, sans date fixe. Sur ce pécule, le diocèse, siège primatial de Normandie, a déjà rassemblé 64 000 euros sous forme de legs de la part de prêtres ayant été connus comme auteurs d’abus.

D’autres voies de financement sont explorées, comme la vente d’œuvres d’art, propriétés du diocèse et non directement religieuses ou liturgiques. «L’idée avait germé dans l’esprit de Mgr Lebrun avant la publication du rapport de la Ciase, car son souhait était déjà de créer un fonds pour les pauvres. Nous réfléchissons par exemple à vendre une collection d’art léguée par un archevêque de Rouen du début XXe siècle», explique Yves Poincignon, tempérant: «Il a fallu rassurer les fidèles inquiets sur l’utilisation des recettes ordinaires des paroisses, tout en maintenant ouverte la possibilité de dons individuels. Les sensibilités divergent entre les paroissiens prompts à donner et ceux qui refusent que leurs dons soient affectés directement à cela». Pour parer à cette arithmétique délicate, les opérations immobilières apparaissent judicieuses. Le diocèse normand évoque ainsi la vente d’une ancienne maison diocésaine dans une commune limitrophe de Rouen. Des décisions à pondérer selon les actifs, ressources et patrimoines de chaque diocèse.

“Il a fallu rassurer les fidèles inquiets sur l’utilisation des recettes ordinaires des paroisses, tout en maintenant ouverte la possibilité des dons individuels.”

Rassurer les fidèles, inviter à participer 

En banlieue parisienne, à Créteil, l’on évalue aussi à 200 000 euros la tranche de contribution au fonds Selam. Or, l’Église du Val-de-Marne ne compte pas de bâtiments patrimoniaux notables, seulement des propriétés construites après 1905. L’évêque de ce jeune diocèse, Mgr Dominique Blanchet, a donc acté en décembre dernier la vente de la maison achetée en 2013, et attribuée depuis au logement de l’évêque. Une belle habitation des bords de Marne, qui n’était ni un bien patrimonial, ni un legs, précise-t-il, mais un achat de l’association diocésaine pour loger l’évêque au moment des travaux pour le déploiement de la cathédrale de Créteil.

Une décision reçue positivement par les fidèles cristoliens: «Ils reconnaissent assez intuitivement le bien-fondé de cette démarche, notamment que l’évêque s’implique avec tout le monde», relate Mgr Blanchet, heureux d’en voir aussi les effets concrets. Il signale deux dons de 5 000 euros chacun, ainsi que celui d’une congrégation religieuse, remontés à la suite de cette décision symbolique au fort écho médiatique. «C’est une dynamique à enclencher. Nous cherchons à contribuer utilement pour longtemps, en rassurant les fidèles sur le fait que la paroisse va continuer à fonctionner normalement et en laissant libre la participation», poursuit le vice-président de l’épiscopat français.

Se dessaisir pour s'enrichir 

Cette identification et répartition des ressources financières est très structurée partout en France. Les économes, membres des conseils diocésains aux affaires économiques et archevêques se réunissent régulièrement sur la prise de décision, avec un suivi au niveau national. Au-delà de la question financière et temporelle, tous intègrent la dimension pastorale du problème. «De quoi sommes-nous prêts à nous séparer dans le cadre de la reconnaissance de cette responsabilité collective», s’interroge l’économe du diocèse de Rouen, Yves Poincignon. Un chemin enrichissant qui touche au plus concret, le patrimoine du diocèse.

Mgr Blanchet constate lui «un véritable progrès intérieur»: «Depuis la commission Ciase, l’avoir demandée, avoir accueilli son rapport, l’Église est profondément touchée. Le progrès des décisions en novembre dernier a été un consentement confiant, nous permettant d’être vrai et au plus proche du réel des victimes; un enrichissement d’une justesse plus grande de ce que nous devons être, d’ajustement à ce que nous devons être. C’est une forme de libération. Dès lors que l’on cherche à faire la vérité, il y a une forme d’enrichissement et de liberté accrue», songe-t-il. Une épreuve dure, mais salutaire, selon les termes du Saint-Père, qui encourageait les évêques de France à porter ce fardeau «avec foi et espérance».

“Dès lors que l’on cherche à faire la vérité, il y a une forme d’enrichissement et de liberté accrue.”

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25 janvier 2022, 16:00