Le Pape Jean-Paul II et Christodoulos, archevêque d'Athènes et de toute la Grèce (mai 2001). Le Pape Jean-Paul II et Christodoulos, archevêque d'Athènes et de toute la Grèce (mai 2001). 

Œcuménisme en Grèce: l’enjeu crucial d’une purification de la mémoire

La question de l’œcuménisme est un des axes du voyage apostolique du Pape François à Chypre et en Grèce. Si les relations avec l’orthodoxie chypriote sont bonnes, celles entre Rome et Athènes furent pendant très longtemps marquées du sceau du rejet et de l’incompréhension. Le voyage de saint Jean-Paul II en 2001 marqua, à cet égard, un tournant. L’évêque de Rome, à l’époque malade et fragile, réussit à ébrécher le mur de la résistance orthodoxe, permettant un rapprochement entre deux mondes.

Entretien réalisé par Manuella Affejee - Cité du Vatican

Le père Hyacinthe Destivelle, op., est official du Conseil pontifical pour l’Unité des chrétiens. 

Entretien avec père Hyacinthe Destivelle, op

C’est en 2001 que la Grèce reçoit la visite de Jean-Paul II, premier Pape à poser le pied dans ce pays après le Grand schisme de 1054. Ce fut un voyage complexe à organiser, tant le fossé était grand entre Rome et Athènes. Quels étaient les points de ce contentieux?

Avant que l’on parle des orthodoxes et des catholiques, on parlait des grecs et des latins, qui progressivement sont devenus étrangers les uns aux autres. C’est ce que le théologien dominicain Yves Congar a appelé le phénomène de «estrangement» qu’il préférait au terme de schisme. Les relations entre chrétiens latins et grecs ont été marquées par de profondes blessures de la mémoire historique. Bien plus que les controverses théologiques autour du Filioque ou même que les excommunications de 1054, le sac de Constantinople en 1204, lors de la quatrième croisade, a laissé jusqu’à nos jours des traces profondes dans la mémoire collective des orthodoxes grecs.

À ces violences s’ajouta la nomination par Rome d’une hiérarchie épiscopale latine parallèle, qui semblait nier l’ecclésialité de la hiérarchie grecque. Au sein du monde orthodoxe, l’Église orthodoxe grecque est restée plus blessée que d’autres Églises orthodoxes par le conflit avec l’Occident latin. L’unité ne pourra donc pas se construire sans purification de la mémoire.

À Athènes, Jean-Paul II demanda pardon aux orthodoxes au nom des catholiques. Quelle fut la portée de ce geste? Comment fut-il reçu par les chefs de l’Église de Grèce?

La purification de la mémoire nécessite la demande et l’acceptation du pardon. Déjà les Pères du Concile Vatican II, dans le décret sur l’œcuménisme Unitatis redintegratio, avaient demandé pardon aux autres chrétiens en disant «nous demandons pardon à Dieu et aux frères séparés, de même que nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés».

La nouveauté de la demande de pardon exprimée par Jean-Paul II à Athènes en 2001 était qu’elle était unilatérale et adressée spécifiquement aux orthodoxes, le Pape demandant pardon à Dieu «pour toutes les occasions passées et présentes où les fils et les filles de l’Église catholique ont péché par action et par omission contre leurs frères et sœurs orthodoxes». Cette demande de pardon a été chaleureusement applaudie par l’archevêque d’Athènes de l’époque, S.B. Christodoulos, ainsi que par les membres du Saint-Synode assistant à la rencontre.

Ce voyage contribua-t-il réellement à apaiser les blessures du passé ou sont-ce encore des sources de tension?

Bien des blessures de la mémoire restent à guérir, mais le leitmotiv œcuménique du Pape François est qu’il faut «marcher ensemble», et que c’est sur ce chemin commun que l’unité nous sera donnée par l’Esprit Saint. En se référant à l’étymologie du mot syn/odos, «marcher ensemble», on pourrait parler d’un œcuménisme «synodal».

Il est significatif que le Pape François, dans son message à l’occasion de son voyage, parle d’une «grâce synodale» à propos de ses futures rencontres avec les primats des Églises orthodoxes. Le voyage du Pape François en Grèce comportera deux rencontres avec l’archevêque d’Athènes, S. B. Hieronimos, l’une à l’archevêché orthodoxe d’Athènes, et l’autre à la nonciature apostolique. Ces rencontres seront certainement l’occasion d’approfondir ce «chemin commun», la «fraternité apostolique» avec les responsables orthodoxes, mais aussi d’encourager les relations œcuméniques au niveau local dans ces pays où les catholiques sont une minorité.

En 2001, Jean-Paul II et l’archevêque d’Athènes et de toute la Grèce, Christodoulos, avaient signé une Déclaration commune sur les racines chrétiennes de l’Europe. C’est là un terrain d’entente entre Rome et Athènes. Quels sont les aspects de cette collaboration précise ?

Sur le chemin œcuménique le Pape François insiste en particulier sur l’action commune, «travailler ensemble». Il a posé à cet égard des gestes novateurs: il s’est rendu en 2016 à Lesbos avec le Patriarche de Constantinople et l’archevêque d’Athènes pour visiter les camps de migrants, il s’est engagé avec l’archevêque de Cantorbéry dans le processus de paix au Soudan du Sud, il a rassemblé les leaders chrétiens du Moyen-Orient à Bari pour réfléchir et prier pour la paix. L’action commune, le témoignage commun, sont pour François le chemin privilégié de l’unité. Dans le cas du voyage à Chypre et en Grèce, il est clair que la question des migrants occupera une place centrale dans cette action commune.

Ce voyage correspond aussi au fameux «regard de Magellan» adopté par le Pape François dans ses voyages: regarder le «centre» – l’Europe, l’Église catholique – à partir des «périphéries», car «la réalité se voit mieux de la périphérie que du centre». L’autoréférentialité est souvent citée par le Pape François comme une des causes profondes de la division des chrétiens.

Quels sont les autres points de convergence sur lesquels le Saint-Siège et l’Église de Grèce peuvent nouer des liens?

Le Saint Siège et l’Église de Grèce collaborent surtout dans le cadre de la Commission mixte de dialogue théologique international, à laquelle participe l’Église orthodoxe autocéphale de Grèce. Il existe aussi de nombreux domaines de collaboration dans le domaine culturel, notamment avec l’Apostoliki Diakonia, un organisme qui dépend du Saint-Synode de l’Église orthodoxe grecque, qui organise des cours de grec pour les étudiants des universités pontificales.

Dans le domaine académique, on peut aussi citer la collaboration œcuménique entre l'Institut d'études œcuméniques de l'Université pontificale Saint Thomas d'Aquin (Angelicum) et le Master en théologie œcuménique orthodoxe de l’Université internationale hellénique, qui a été inaugurée cette année par le cardinal Kurt Koch. Donc ce sont des exemples qui montrent l’existence d’un dialogue de la charité et de la rencontre, un dialogue de la vérité -sur le plan théologique-, mais aussi d’un dialogue de la vie, en particulier s’agissant de l’œcuménisme culturel, de la collaboration pratique, qui participe aussi de ce chemin d’unité.

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30 novembre 2021, 15:11