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Rapport de la Ciase: «Notre parole est enfin criée»

La Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase) a remis, mardi 5 octobre à Paris, son rapport sur les violences sexuelles sur mineurs commises au sein de l’Église en France. Véronique Garnier, abusée par un prêtre durant son adolescence, évoque une étape historique.

Entretien réalisé par Hélène Destombes - Cité du Vatican

Ce document de près de cinq cents pages fait état de 330 000 mineurs abusés dans des contextes ecclésiaux dont 216 000 victimes d’abus commis par une personne consacrée (prêtre, religieux, diacre ou religieuse), en France depuis 1950.

Le rapport de la Ciase est le fruit de deux ans et demi d’enquêtes et d’écoute de victimes menées par une commission interdisciplinaire, de vingt-et-un membres bénévoles, composée par Jean-Marc Sauvé à la demande de la Conférence des évêques de France et de la Conférence des religieux et religieuses de France.


Parmi les personnes présentes mardi matin dans l’assemblée lors de la présentation du rapport, Véronique Garnier, co-responsable d’un service de protection des mineurs dans le diocèse d’Orléans. Abusée adolescente de 13 ans à 15 ans par un prêtre, ami de sa famille, elle a accueilli ce texte avec beaucoup d’émotion.

Cette catholique, âgée de 60 ans, décrit «une immense douleur», mais aussi «un soulagement très grand» après avoir entendu des mots attendus depuis longtemps. Elle met en lumière «l’inimaginable»: «la souffrance du corps, la souffrance psychique et plus intime encore la souffrance de l’âme qui a été déchiquetée»

Entretien avec Véronique Garnier

Comment avez-vous accueilli ce rapport présenté par Jean-Marc Sauvé?

Je l’accueille dans ma chair. Ce n’est pas un chiffre pour moi, c’est 330 000 fois la même chose que ce que j’ai vécu. C’est pour moi une grande douleur, mais en même temps étonnamment, un soulagement très grand, parce que j’ai entendu de la part de M.Sauvé les mots que j’attendais depuis longtemps.

C’est un travail de vérité qui était indispensable. Le cri des victimes a-t-il enfin été entendu?

Nous faisons partie de cette «clameur des pauvres» que l’Église ne voulait pas entendre. Aujourd’hui, quelque chose d’un peu historique se produit, car je pense qu’il y aura un «avant» et un «après», personne ne pourra dire que ce n’est pas si grave. Notre parole est enfin criée, je trouve que c’est très touchant.

Percevez-vous une réelle prise en compte du traumatisme physique et psychique que provoque un abus?

Ce que l'on a vécu n’est pas pensable, imaginable, donc on ne peut pas attendre de la part de personnes qui ne l’ont pas vécu de vraiment comprendre. Mais certains ont uni leur cœur à notre douleur. Ce qui était extraordinaire avec ces personnes de la Ciase qui nous ont tous écoutés est qu’ils ont vraiment ouvert leur cœur; ils nous ont présenté leur humanité. On a dit notre humanité blessé: leur humanité a accueilli cette blessure qui est devenue un peu la leur, et leur humanité souffrante à leur tour nous redonne une part de notre humanité. Ce qu'il s'est passé n'est pas ordinaire, cela nous aide à nous relever, à ne plus avoir honte. Aujourd’hui, on peut ne plus avoir honte de ce qui nous est arrivé.


L’écoute des victimes est essentielle, cela a été beaucoup dit. Souhaitez-vous en quelques mots nous parler de votre souffrance, de ce que vous avez subi, pour que cela soit entendu?

Peut-être que je vais parler d’une souffrance encore plus profonde, encore plus intime, qu'est la souffrance de l’âme. Il y a la souffrance du corps, de l’affectivité, de la psychologie, mais aussi la souffrance de l’âme. Les enfants, adolescents et adolescentes qui sont abusés dans l’Église sont des enfants croyants: enfants de chœur, guides, scouts. Leur foi, notre foi, notre âme, est aussi disloquée, déchiquetée, et c’est une souffrance encore plus intime dont personne ne parle, dont personne n’imagine à quel point cela empêche de vivre, pas seulement de vivre sa foi, mais de vivre tout court. Et je voudrais dire quelle est ma douleur, aujourd’hui encore, par rapport aux eucharisties par exemple, quand cela me ramène à l’ancien temps, où le prêtre qui abusait de moi célébrait l’Eucharistie, touchait l’hostie: comment ne pouvait-il pas salir l’hostie alors qu’il me salissait moi. Cette douleur intime, de l’âme, n’est pas assez dite. Je pense que les abus sexuels des enfants, des adolescents, les empêche de venir vers le Christ, et empêche même leurs enfants et les enfants de leurs enfants de venir au Christ. Voilà quel est le vrai scandale des scandales, en plus des crimes et des délits commis par les prêtres.

Un important travail de purification doit être fait. Qu’attendez-vous de l’Église aujourd’hui?

Dans l’Église, on m’a souvent dit qu’il fallait que je tourne la page. Aujourd’hui, pour l’Église, une nouvelle page va s’écrire. Elle va commencer par «rapport Sauvé, 5 octobre 2021». Puis sur cette page, il va falloir écrire tout ce que vous allez faire, non pas des belles paroles, mais écrire ce que vous allez faire, date après date, diocèse par diocèse, communauté par communauté… Et rendre compte de ce que vous allez faire maintenant, pour que plus jamais on ne recommence tout cela.

Le rapport met en lumière la nécessité de réparer. Comment réparer l’irréparable, avez-vous cette confiance que l’Église puisse être réformée en profondeur, avez-vous cette espérance qu’elle puisse être purifiée, notamment grâce à la contribution des victimes?

Je pense qu’il s’agit là d’une conversion majeure, c’est-à-dire mettre les victimes au cœur. Pour l’instant, depuis 2019, je pense que cela reste des mots, seulement de beaux mots. Par contre, l'on voit que le rapport Sauvé a mis les victimes au cœur. Ils ont travaillé avec nous, ils nous ont écouté, ils ont repris nos mots. Nous avons co-construit avec eux. J’attends de l’Église une conversion de ce genre-là. Et une conversion de chacun et chacune, là où il est. Je pense que l'on est face à une structure de péché, un péché collectif, qui demande une réponse collective, mais collectif ce n’est pas les autres, c’est chacun, soi, et tous ensemble. Il n’y a qu’une seule espérance, c’est qu’un par un, le milliard et 400 millions de catholiques va convertir son cœur et remettre le Christ au cœur de l’Église et non l’Église elle-même au cœur de l’Église. L’Église n’est pas un but en soi, elle doit remettre le Christ au cœur; quand des diocèses, des communautés mettent les victimes au cœur de leurs préoccupations, au cœur de leur écoute, au cœur de leur Eucharistie… Ils ne se trompent pas, car ils remettent le Christ au cœur. J’attends cela. C’est beaucoup, mais c’est mon espérance.


 

 

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05 octobre 2021, 15:46