Des mains jointes (illustration). Des mains jointes (illustration). 

L’amitié sociale selon le Pape, l’amour chrétien appliqué aux relations humaines

En juillet, le Pape invite à bâtir l’amitié sociale. Le Saint-Père invite à devenir des «architectes du dialogue et de l’amitié» pour résoudre les conflits, et s'attaquer aux causes de divisions dans la société et entre les personnes. Entretien avec le frère dominicain Jacques-Benoît Rauscher, enseignant à l’université de Fribourg et l’université catholique de Lyon sur cette notion.

Entretien réalisé par Delphine Allaire – Cité du Vatican

Entretien avec le père Jacques-Benoît Rauscher

Comment définir l’amitié sociale?

Il s’agit d’une notion très présente dans les écrits du Pape François, dès l’exhortation apostolique Evangelii Gaudium de 2013 où il en parle beaucoup, mais encore plus dans Fratelli tutti. C’est une manière de traduire l’amour chrétien dans le champ des relations sociales, parce que souvent nous avons tendance à réduire notre foi et engagement chrétien à un champ très individuel. Là, le Pape nous demande d’ouvrir cet amour spécifiquement chrétien dans le champ social. L’amitié sociale est aussi tout ce qui n’est pas le repli individualiste et identitaire qui parfois caractérise beaucoup de mouvements dans nos sociétés contemporaines.

Qu’est-ce qui différencie l’amitié sociale de la fraternité?

Peu de choses en réalité. Justement, ce qui est très frappant dans Fratelli tutti, c’est leur occurrence commune. Toutes les fois où le Pape François évoque l’amitié sociale, il l’emploie avec le terme fraternité. Il y a une grande proximité entre les deux notions, pas tout à fait étrangère au fait que dans l’Évangile de saint Jean, ce sont les deux mots que le Christ emploie pour qualifier le rapport qui va prévaloir avec ses disciples. «Je ne vous appelle plus serviteurs mais amis»; autrement dit, le Christ nous appelle à la fois amis et frères. Il définit ainsi les relations qui devraient être les nôtres.

Y a-t-il une théologie de l’amitié sociale, quelle est sa visée?

Outre ces fondements bibliques, cette relation entre le Christ et ses disciples, il y aussi ces grandes théologies qui expliquent combien nos relations sociales sont liées à notre foi. Je pense à saint Jean Chrysostome, qui dit, au IVe siècle, qu’il est très beau de servir le Christ dans la liturgie avec de beaux ornements, mais prévient: «N’oublie pas qu’il t’a demandé de Le servir dans le pauvre, le prisonnier, l’étranger». Cette approche théologique nous rappelle que l’on a à se départir d’une recherche individualiste de notre intérêt. Cela est très présent dans la mentalité économique contemporaine, et cela nous contamine dans notre réflexion spirituelle et théologique. L’amitié sociale fondamentalement nous rappelle que la diversité est bonne et voulue par Dieu. La communauté chrétienne, ce n’est pas l’armée des clones, mais des personnes très diverses qui essaient de vivre ensemble. La diversité n’est pas un handicap, elle est voulue par Dieu.

L’amitié sociale, une expression qui peut paraitre curieuse de prime abord, comment dépasser l’impression de jargon?

C’est un biais moderne qui pollue nos représentations chrétiennes. Même dans l’Antiquité païenne, le social et communautaire était perçu très positivement. Aristote dit que l’homme est un animal social, et va plus loin estimant que celui qui ne serait pas en contact avec ses semblables, est soit un surhomme, soit un sous-homme. L’adjectif social est extrêmement noble, il est à comprendre dans la grande tradition chrétienne.

Qu’y-a-t-il de spécifiquement chrétien dans l’amitié sociale?

Deux aspects. Le premier, l’amitié sociale n’a pas de frontières dans l’espace. Celui que je ne connais pas, je peux aussi le voir comme un frère. Il n’y a pas non plus de frontières dans le temps, celui qui m’a précédé ou qui va me succéder est aussi un frère, vis-à-vis duquel je dois développer une amitié. Cela est précieux pour penser l’écologie, changer son rapport à la nature. Les gens qui viendront après moi sont aussi membres de mon corps par le Christ.

L’amitié sociale implique-t-elle l’action?

Effectivement, j’aime beaucoup ce que propose le Pape François dans son livre Un temps pour changer, où il articule la liberté, l’égalité et la fraternité, la devise française. Il dit que la fraternité va articuler les deux aspirations que sont la liberté et l’égalité, les valorisant sans les écraser l’une l’autre.

L’amitié sociale, est-ce finalement le défi prophétique de l’Église des décennies à venir?

Elle n’est pas une utopie, elle est bien de l’ordre prophétique. Nous devons toujours tendre vers elle, même si l’on sait que l’on ne l’atteindra pas forcément. Nous avons à redécouvrir cette dynamique authentique de l’amitié. Un passage du Concile Vatican II souvent cité par saint Jean-Paul II considère que l’homme ne se trouve que dans le don désintéressé de lui-même. On ne trouve ses racines et son identité comme chrétien que dans le don de soi. 

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10 juillet 2021, 19:24