Le père Jacques Hamel (1930-2016) Le père Jacques Hamel (1930-2016) 

Père Hamel: 5 ans après, une vie simple qui inspire les prêtres de son diocèse

Son assassinat, au pied de l’autel où il célébrait la messe, avait bouleversé la France entière, et bien au-delà. Cinq ans après, la mémoire du père Jacques Hamel, celle d’un prêtre ordinaire, discret et dévoué, reste bien présente dans son diocèse de Rouen, notamment parmi les prêtres. L’un d’entre eux, tout récemment ordonné, témoigne de cette filiation spirituelle, ancrée dans la simplicité et l’engagement.

Entretien réalisé par Manuella Affejee – Cité du Vatican

Il est encore tôt en cette matinée du 26 juillet 2016, lorsque deux jeunes hommes pénètrent dans la petite église de saint Étienne-du-Rouvray, en banlieue rouennaise, en pleine célébration de la messe du jour à laquelle participent une poignée de fidèles. Se revendiquant de l’État islamique, les deux terroristes égorgent le célébrant, le père Jacques Hamel, âgé de 85 ans et blessent gravement un autre fidèle, avant d’être abattus par les brigades de recherche et d’intervention. Le choc est général; mais les réactions de violence que certains prédisaient laissent place à d’émouvantes manifestations de solidarité et de compassion entre chrétiens et musulmans. Quelques mois plus tard, en septembre, le Pape François, célèbre une messe-votive en l’honneur du prêtre assassiné, le qualifiant de «martyr».

Cinq ans après, l’enquête sur les circonstances de cet attentat est close et les complices des deux assassins devraient comparaitre devant la justice en 2022. Selon des documents consultés par l’hebdomadaire français La Vie, le meurtre du père Hamel ne constitue pas un acte isolé, mais procèderait d’un plan savamment orchestré depuis la Syrie.

Aujourd’hui, le souvenir de l’humble curé rouennais reste vivace; chaque année, des célébrations civiles et religieuses rassemblent catholiques et musulmans autour de cette figure érigée en symbole de fraternité. L’église de son martyre ainsi que sa tombe sont devenues des lieux de pèlerinage. Et pour les fidèles, ce curé de paroisse âgé, d’apparence fragile, représente d’abord et avant tout un exemple lumineux de fidélité vécue dans un quotidien ordinaire.

Le père Erwan Rozier a été ordonné prêtre pour le diocèse de Rouen en juin dernier par Mgr Dominique Lebrun. Il a choisi de célébrer sa première messe le 1er juillet en l’église paroissiale de saint Étienne-du-Rouvray, avec un calice ayant appartenu au père Jacques et prêté par sa sœur, Roselyne.

S’il ne l’a pas connu personnellement, le père Rozier avoue être touché et inspiré par témoignage de vie du prêtre martyr. Entretien.

Entretien avec le père Erwan Rozier

Au-delà de son martyre, en quoi la vie simple du père Hamel vous inspire-t-elle en tant que prêtre?

Je pense que la réponse figure déjà dans la question ! C’est la simplicité qui compte. D’un point de vue purement humain, le père Hamel n’a jamais fait de choses  extraordinaires dans sa vie, il a été un bon curé de paroisse, il a été heureux avec les gens, il a célébré des sacrements comme tout prêtre peut en célébrer. D’ailleurs, on peut dire la même sur ce martyre lui-même : une messe de semaine, avec une dizaine de personnes très âgées, dans une simplicité « record », si l’on peut dire. Là encore, rien d’extraordinaire. Mais si Satan a décidé de s’attaquer à cela, à cette messe de semaine et à cette petite communauté vieillissante, c’est certainement qu’il y a un signe pour nous derrière.

Quel serait ce signe dont vous parlez?

C’est la puissance de la simplicité, de la célébration des sacrements, le sens de ce signifie être «le sel de la terre» pour un chrétien. De pouvoir offrir toute la joie, toutes les peines et souffrances en action de grâce au Seigneur. A travers l’attaque de cette messe de semaine, de ce prêtre et de ces personnes âgées, c’est vraiment le mystère de l’Eucharistie lui-même – tel qu’il est célébré un peu partout dans le monde- qui a été attaqué.

Ce lien que vous entretenez avec le père Hamel est en partie dû au fait que vous êtes originaire du même lieu. Ce lien vous est-il propre ou bien vos confrères diocésains le partagent-ils également?

Je pense qu’il est partagé par beaucoup. Le fait qu’un autre frère prêtre ait voulu célébrer avec moi (sa première messe, le 1er juillet dernier, ndlr), qu’un autre jeune prêtre ait été là aussi, le montre.

On est sur une terre, en Normandie, où l’on ne parle pas beaucoup, où l’on vit les choses de l’intérieur. L’autre grand exemple de sainteté ici, c’est sainte Thérèse de Lisieux et c’est la même chose: ce sont des vies cachées qui, de l’extérieur, n’ont pas donné grand-chose, mais qui, après leur mort, parlent énormément. C’est un peu cela l’esprit normand, l’esprit de cette terre.

Dans le presbyterium, on ne peut pas dire qu’on fasse des conférences sur Jacques Hamel, sa spiritualité, etc. Mais tous, intérieurement, on reste marqué par cet homme, parce qu’on partage beaucoup de sa vie, de sa façon de célébrer, de s’engager auprès des gens et dans la fraternité presbytérale.

L’on a constaté un élan de sympathie et de fraternité entre catholiques et musulmans après l’assassinat du père Hamel, à saint Étienne-du-Rouvray et dans l’agglomération rouennaise. Cet élan est-il toujours prégnant ou bien chacun est-il retourné à sa routine?

Un réponse honnête serait: «un peu des deux» ! Il est normal de retourner à sa routine parce que c’est cela qui fait le concret de notre vie, familiale et professionnelle. On ne va pas rester marqué tout le temps par un élan spirituel particulier. Mais cela ne veut pas dire qu’on ne continue pas à dialoguer et à prier les uns pour les autres. J’en veux pour preuve les célébrations qui nous réunissent, -cette année le 26 juillet à saint Étienne-du-Rouvray-, religieuse et civile, auxquelles assistent nos frères musulmans. Pour moi, c’est cela qui constitue le côté fort de cet élan. On a tous des moments où l’on retourne à la routine, mais on a aussi des moments où l’on fait mémoire ensemble et c’est la jonction des deux qui fait notre vie humaine.

Le sacrifice du père Hamel parle-t-il à des non-croyants? De quelle manière vous stimule-t-il dans votre élan d’évangélisation?

Si l’on en croit les sondages, le martyre du père Hamel n’est pas ce qui est resté le plus dans la mémoire des Français. Ceci étant dit, cela ne veut pas dire que les non-croyants ne regardent pas les croyants, ni la façon dont ils vivent ce martyre. J’étais aux JMJ de Cracovie au moment de cet assassinat et j’ai été impressionné par la façon dont certains responsables politiques ont cru que ça allait dégénérer en manifestations et violences entre catholiques et musulmans. Et ils ont été marqués par le fait que rien de tout cela ne s’est produit ! Je crois que c’est cette absence de violence qui a marqué les non-croyants et qui continue aujourd’hui de leur parler. Bien sûr, on peut être moins conscient d’une absence de violence que de sa présence -une absence parle toujours moins qu’une présence-, néanmoins, les non-croyants nous regardent.

S’agissant de l’élan d’évangélisation, pour moi, cela aide et enrichit beaucoup ma foi et mon engagement de prêtre diocésain. Si, encore une fois, on se place dans une perspective purement humaine, on peut se dire que même cette église de saint Étienne-du-Rouvray n’est pas forcément très jolie, que ses murs auraient besoin d’un nouveau coup de peinture, que le crucifix n’est pas du dernier cachet, mais en réalité, spirituellement, quand on regarde la communauté chrétienne qui habite ce lieu, quand on entend les témoins de l’assassinat du père Hamel, à ce moment-là, on peut voir vraiment ce qu’est la vie dans l’Esprit Saint. C’est cela qui parle à un prêtre diocésain ainsi qu’à des non-croyants.

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26 juillet 2021, 07:18