Rencontre mondiale des familles à Dublin, lors du voyage apostolique du Pape François en Irlande, en août 2018 Rencontre mondiale des familles à Dublin, lors du voyage apostolique du Pape François en Irlande, en août 2018 

Année Amoris Laetitia: une joie et une responsabilité pour toute l'Église

Que peut-on attendre de l’année spécialement dédiée à la famille décrétée par le Pape le 27 décembre dernier, au vu du contexte de pandémie et des cinq années écoulées depuis la parution d’“Amoris Laetitia”? Éclairage d’Oranne de Mautort, chargée d’enseignement en théologie morale à l’ICP et au Centre Sèvres, à Paris.

Entretien réalisé par Adélaïde Patrignani – Cité du Vatican

2021 constitue une année triplement spéciale pour l’Église, étant dédiée à Laudato Si’, à Saint Joseph… et à la famille. Le 27 décembre dernier - précisément en la fête de la Sainte Famille -, le Pape François annonçait une année “Famille Amoris Laetitia”. Elle sera inaugurée le 19 mars, prochain en la solennité de saint Joseph, et se terminera avec la 10e Rencontre mondiale des familles, en juin 2022 à Rome.


L’initiative tire son nom de l’exhortation apostolique post-synodale publiée il y a cinq ans. Elle aura pour but d’approfondir ce texte magistériel, mais surtout de redécouvrir l’appel de la famille à être «évangélisatrice par son exemple de vie», selon les mots du Souverain Pontife, qui a aussi invité à mettre en avant «l'idéal de l'amour conjugal et familial».

Cette année Amoris Laetitia survient par ailleurs dans un contexte particulier: celui de la pandémie de Covid-19, qui pour de nombreuses personnes aura fait rejaillir l’importance des liens familiaux.

Oranne de Mautort, ancienne directrice adjointe du Service National Famille et Société au sein de la conférence des évêques de France, est actuellement chargée d’enseignement en théologie morale à l’ICP et au Centre Sèvres, à Paris, auteure avec Alain Thomasset de Familles belles et fragiles. Mettre en oeuvre l’exhortation Amoris laetitia dans l’Eglise (Éditions Fidélité). Elle a travaillé à la réception de l’encyclique Amoris Laetitia en France, et nous fait part de son enthousiasme face à l’initiative annoncée par le Saint-Père:

Entretien avec Oranne de Mautort

L’annonce par le Pape François, le dimanche de la Sainte Famille, de cette année spéciale Amoris Laetitia m’a procuré une très grande joie. Le Pape François nous invite à approfondir le contenu de cette belle exhortation et à partager les réflexions et les pratiques déjà en cours avec les familles et les communautés. Je pense que c’est très important, très utile, et que cela rendra vraiment service aux familles et aux communautés. C’est donc vraiment une grande joie, et en même temps une responsabilité: comment chacun d’entre nous va prendre sa part de ce projet?

Avez-vous déjà des idées concernant la manière dont cette année pourrait être lancée en France?

Cette année ne va pas partir de rien. En France, depuis la publication de l’exhortation, il y a eu beaucoup de choses qui se sont passées pour présenter l’exhortation, aider à sa réception, pour s’interroger. Tout ce travail préalable fait sur le terrain va servir de support, et il y a déjà énormément de pratiques mises en œuvre. En quoi cette exhortation nous conforte finalement dans nos pratiques? Nous invite-t-elle à des changements? Les acteurs de terrain, eux, se demandent souvent: en pratique, comment fait-on? Ils sont toujours heureux de partager les initiatives des uns et des autres. Tout ce travail de réflexion et de mise en pratique qui a été fait va nourrir l’année Amoris Laetitia.

Pourriez-vous nous donner quelques exemples de bonnes pratiques qui ont déjà été expérimentées en cinq ans?

Amoris Laetitia nous invite à une pastorale familiale qui soit joyeuse, accueillante, miséricordieuse et missionnaire. Tout cela se déploie sur de nombreux terrains. L’Église de France a vraiment travaillé et mis en œuvre des choses très intéressantes, par exemple pour l’accompagnement des couples qui demandent le mariage sacramentel à l’Église. Dans le cadre de la préparation au mariage, les diocèses ont vraiment réfléchi à un accueil des couples qui ont déjà des enfants, et à un accompagnement de ces enfants par des catéchètes. Il y a aussi de nombreuses recherches et pratiques pour inscrire cet amour de ces couples dans l’amour de Dieu, avec une rencontre de la Parole de Dieu. Comme autres “bonnes pratiques”, il y a toutes les recherches autour des couples qui vivent des difficultés – et le Pape François nous y invite fortement dans Amoris Laetitia – l’accompagnement des couples en crise, l’accompagnement après les ruptures… En France, il y a énormément de travail et de nombreuses initiatives pour des groupes de personnes séparées, divorcées, remariées, pour trouver des chemins d’intégrations, comme nous y invite Amoris Laetitia.

Ce que font les diocèses permettent à des personnes de se remettre debout et de vivre à nouveau en Église. Je crois que c’est magnifique.

La pandémie actuelle a suscité beaucoup de changements pour les familles. Qu’est-ce que cette épreuve est venue révéler du rôle de la famille dans la société?

L’épreuve de la pandémie a eu un effet de révélateur sur les liens familiaux mais aussi sur l’importance pour les familles des questions économiques, sociales, environnementales. Évidemment ce n’est pas pareil de vivre la pandémie et le confinement quand on a un grand appartement ou un petit appartement, quand on est au chômage, quand on doit faire travailler les enfants, quand on a peur pour sa santé et que l’on ne peut pas aller à l’hôpital. La famille n’est pas un petit enclos isolé. La pandémie a pu offrir des opportunités nouvelles de dialogue, du temps de qualité à certains. Mais le confinement a aussi exacerbé les difficultés, les difficultés de la relation, et parfois jusqu’aux violences: violences conjugales, violences sur les enfants… et malheureusement les chiffres des services sociaux et des magistrats le confirment. Cette crise révèle que les difficultés de la vie familiale sont inévitables puisque les familles parfaites n’existent pas. Il est essentiel que les familles soient soutenues pour arriver à gérer, à traiter ces difficultés familiales. L’Église est appelée à jouer son rôle là-dedans.

Vous dites qu’il n’y a pas de famille idéale… Toute famille porte en effet ses propres vulnérabilités. En quoi la Sainte Famille peut-elle être un appui, un signe d’espérance?

La Sainte Famille est «sainte» car ses membres tentent d’y vivre au jour le jour l’amour. Ils tendent, dans leurs relations ordinaires, de vivre cet amour entre eux, cet amour avec les autres. Le Pape François insiste beaucoup dans Amoris Laetitia pour dire que la Sainte Famille n’est pas isolée de ses voisins, qu’elle est intégrée dans son village. En ce sens, c’est vraiment un soutien pour nos familles d’aujourd’hui, qui bien sûr ne vivent pas toutes la naissance dans des conditions difficiles, qui ne vivent pas toutes la migration, mais qui sont appelées, comme la Sainte Famille, à tenter de s’aimer le mieux possible, à traverser les crises – la Sainte Famille n’en a pas manqué -, à vivre avec des voisins, à avoir un travail – Joseph était charpentier, nous dit la tradition. En ce sens-là, la Sainte Famille peut être un modèle.

La pandémie a aussi favorisé l’éclatement géographique des familles, avec des liens parfois difficiles à maintenir. Ne peut-on pas craindre que ce délitement ne devienne durable?

Les familles ont fait preuve au contraire de beaucoup de créativité pendant ce confinement, beaucoup de résilience. Elles ont imaginé, avec leurs aînés qui étaient loin, avec leurs malades qui étaient loin,  comment les accompagner. Elles ont aussi imaginé comment faire l’école à la maison. Elles ont imaginé des nouveaux rituels pour prier, pour la vie liturgique. Elles ont inventé l’envoi de cartes postales à es personnes âgées dans les Ehpad, les coups de fils réguliers, les histoires du soir sur Zoom... Certes, il y a eu ces deuils difficiles, ces arrachements vécus quand on ne pouvait pas accompagner ses morts, mais il me semble que la pandémie a montré au contraire la force de la famille comme Église domestique, avec beaucoup d’invention.

Comment la famille, dans ce contexte-là, peut-elle encore être évangélisatrice?

Il me semble que la bonne nouvelle de la famille, c’est lorsqu’elle peut témoigner de ce qu’elle vit de joie, mais aussi ce qu’elle vit de pardon, de possibilité de traverser les épreuves, du fait qu’elle est ouverte aux autres, qu’elle soutient ceux qui vivent des difficultés, et bien sûr quand elle est accueillante. La notion de «grande famille» développée par le Pape François est vraiment intéressante: une famille ouverte à ceux qui sont seuls, à ceux qui vivent les crises, à ceux qui sont handicapés. Les familles peuvent témoigner de l’Évangile, les familles peuvent être une Bonne nouvelle, quand elles ont le cœur large. 

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08 janvier 2021, 11:37