Grotte de la Nativité- Bethléem (archives) Grotte de la Nativité- Bethléem (archives)

L'incarnation, mystère d'un Dieu venu "habiter" la chair de l'homme

“Et le verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous” écrit saint Jean dans le prologue de son Évangile (Jn 1, 14). Ce verset résume à lui seul toute la nouveauté du christianisme, religion de l’Incarnation par excellence. Un mystère que le croyant est appelé, plus que jamais, à approfondir.

Entretien réalisé par Manuella Affejee- Cité du Vatican

L’incarnation est le «mystère de l’admirable union de la nature divine et de la nature humaine en l’unique Personne divine du Verbe» pour le salut de toute l’humanité (Compendium du CEC, 45). Cette nouveauté absolue dans l’histoire du monde bouleverse à jamais la vision que l'homme avait de Dieu et, par voie de conséquence, son rapport avec lui. Le Créateur s’abaisse jusqu’à sa créature pour la sauver du péché et la restaurer dans sa pleine nature et dignité d’Enfant de Dieu.

Loin de l’aspect purement festif voire consumériste que cette fête peut revêtir, nous vous proposons de revenir sur le sens même de cette incarnation avec Martin Steffens, professeur de philosophie, auteur de plusieurs ouvrages, dont le dernier, Marie comme Dieu la conçoit, est paru en octobre 2020 aux Éditions du Cerf.

Entretien avec le philosophe Martin Steffens

Que vient apporter Dieu par son incarnation?

Dieu vient apporter deux choses par son incarnation. D’une part, il vient assumer cette chair en tant que lieu par lequel nous nous sommes égarés et par lequel nous avons dévoré le fruit. En habitant cette chair, il vient habiter toute l’humanité jusque dans son péché; ce faisant, il apporte cette dimension kénotique, c’est-à-dire celle de ce Dieu qui, nous dit saint Paul dans son Épître aux Philippiens, ne retient pas jalousement le rang qui l’égalait au Père mais se vide pour s’incarner et habiter cette chair que nous avons-nous-même tant de mal à habiter.

Et en même temps, ce qu’il apporte par-là, c’est la Bonne nouvelle de la chair. En ce sens je suis très séduit par la thèse de Duns Scot (théologien et philosophe écossais du XIIIe siècle, ndlr) selon laquelle, avant de donner son Fils au monde en vue de sa rédemption, le Père a offert le monde à son Fils en vue de son incarnation. L’incarnation de Dieu, du Verbe qui vient camper parmi nous, nous apporte la Bonne nouvelle que cette chair est profondément, et dès le début, bonne puisqu’elle était comme le cadeau du Père au Fils en vue de son incarnation.

«Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu», disait saint Irénée de Lyon. Que vous évoque cette phrase audacieuse?

On peut l’entendre dans un sens un peu inquiétant, un peu «transhumaniste», d’un homme qui va laisser loin derrière lui son humanité. Or, c’est tout l’inverse. Pour que l’homme devienne Dieu, il faut qu’il devienne pleinement homme puisque Dieu lui-même en s’incarnant nous a indiqué cette voie. Le dogme de l’incarnation nous montre qu’il n’est pas un point de départ mais au contraire un sommet. Finalement, être là à l’autre, être avec lui, en chair et en os, être à sa vieillesse quand on vieillit, ou être à son enfance quand on est enfant, bref, vivre ce que l’on a à vivre. C’est d’ailleurs peut-être ce qui est le plus difficile: sortir de l’abstraction, ne plus se payer de mots. Au fond, c’est cela être Dieu, c’est être à ce que l’on doit être, se faire présent, c’est-à-dire aimer.

L’Incarnation commence avec l’Annonciation, le “oui” de Marie et sa totale disponibilité à Dieu qui s’opposent à la rébellion originelle du démon. En quoi l’incarnation de Dieu représente-elle l’ultime défaite de l’adversaire ?

Ce côté luciférien est précisément la haine de la présence à soi et à l’autre, c’est la haine de ce risque pris de la relation, c’est toujours préférer au risque du visage de l’autre l’idée que je me suis faite de lui. Et il est vrai que nous avons toujours cette tendance à préférer nos systèmes de pensée et nos réseaux abstraits de raisonnement au risque de ce qu’a vécu Jésus, c’est-à-dire de venir à cet endroit-là, dans ce peuple-là en passant par cette femme, Marie, et n’avoir pas d’autre plan que de se rendre présent, que d’aimer, que de se laisser toucher et de toucher.

Le côté luciférien est de croire que Dieu est trop pur par rapport à cet enfouissement de Dieu dans notre chair et dans la grande généalogie qui mène à Joseph et à Marie, qui est un enfouissement de Dieu dans toutes nos histoires, quelles qu’elles soient.

A l’heure d’une virtualisation toujours plus prégnante de nos vies, de notre travail, de nos relations, et même de nos rites, quel message le chrétien peut-il porter alors qu’il s’apprête à fêter l’incarnation du Fils de Dieu ?

Le message qu’il peut porter est qu’il n’y a peut-être rien de plus grand que cette présence. C’est par ce cadeau, qui a l’air de rien du tout, que Dieu a sauvé le monde.

Le christianisme montre que si je veux agir sur ma vie, je ne peux que passer par le corps. Les rois mages se déplacent et quand je me rends à la messe, je me déplace aussi. Quand je reçois le Christ, je le fais pénétrer dans ma bouche, etc. Finalement, le corps est vraiment ce pont qui, de mon âme à mon âme, permet à mon âme d’agir sur mon âme pour que le meilleur de moi puisse ressortir.

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23 décembre 2020, 18:20