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Le père Arturo Sosa, préposé général des jésuites, ici lors d'une messe en Slovénie en octobre 2019. Le père Arturo Sosa, préposé général des jésuites, ici lors d'une messe en Slovénie en octobre 2019. 

Père Sosa: la liberté intérieure est indispensable pour être guidé par l'Esprit

À l'occasion de la fête de saint Ignace de Loyola, le préposé général de la Compagnie de Jésus évoque la mission des jésuites dans un monde bouleversé par la pandémie

Propos recueillis par Antonella Palermo - Cité du Vatican

«Dans le cadre de la mission, nous vivons les mêmes épreuves que les populations touchées. Et, surtout, nous subissons les conséquences sociales de cette épidémie. Je voudrais m'attarder sur ce point car, oui, l'épidémie est évidemment un problème de santé, qui sera peut-être surmonté, mais les conséquences sociales, économiques et politiques sont vraiment à prendre très au sérieux. Tout d'abord, nous avons essayé de comprendre comment nous pouvons continuer à servir ceux qui en ont le plus besoin dans ce contexte. Il y a de nombreuses expériences. Je me souviens de ce que font les provinces de la Compagnie de Jésus en Inde, en Asie du Sud. Toutes les provinces ont veillé à ce que la nourriture et les médicaments soient livrés de manière très généreuse aux personnes qui ne sont pas en mesure de subvenir à leurs besoins.

Nous avons alors réalisé que l'on ne peut pas se soigner soi-même sans soigner les autres, et vice versa. De nombreuses expériences d'accompagnement, tant personnelles que sociales, ont été faites - et bien sûr, il ne s'agit pas seulement de célébrer des messes en streaming, mais d'être présent dans la vie des gens avec tous les moyens dont nous disposons actuellement. Ce fut une expérience très complexe et très intéressante, qui mérite d'être évaluée dans le temps. Nous avons choisi quatre préférences apostoliques qui ont été approuvées par le Pape et qui nous placent au cœur de ce qui doit être fait maintenant, dans le contexte de la pandémie : voir que Dieu peut nous montrer comment nous devons marcher, transformer les structures sociales clairement injustes, prendre soin de la création et écouter librement les jeunes qui sont la semence de l'espoir pour l'avenir.

La pandémie est donc une opportunité pour repenser les choix politiques dans certaines régions du monde?

Dans toutes les régions du monde. J'ai souvent dit que l'une des victimes de la pandémie pourrait être la démocratie, si nous ne prenons pas soin de notre condition politique. En ce moment, par exemple, prendre le chemin de l'autoritarisme est la grande tentation de nombreux gouvernements, même des gouvernements dits démocratiques. La Compagnie de Jésus, vous le savez, est très engagée dans l'accompagnement des migrants. Plusieurs pays ont exploité cette pandémie pour modifier leur politique migratoire dans le sens d'une restriction du passage ou de l'accueil des migrants, ce qui est une grande erreur si l'on considère que nous voulons rendre le monde plus fraternel et plus juste.

En ce moment, discriminer à nouveau les migrants serait, et est, un grand danger et serait le signe d'un monde dont nous ne voulons pas. Toujours en matière de travail, il existe de nombreuses entreprises qui utilisent cette possibilité pour licencier des travailleurs ou réduire les salaires ou pour ne pas payer ce qu'ils doivent payer, ou pour réduire les prestations de santé publique ... En bref, la pandémie est l'occasion de faire des pas en avant ou en arrière. Et nous devons en être très conscients, en tant qu'Église catholique et en tant que personnes engagées en faveur de la justice et de la paix, afin de construire une société plus accueillante et plus démocratique.

Quel est le critère essentiel que saint Ignace de Loyola nous suggère de suivre pour le plus grand bien en cette période qui concerne le monde entier?

Il est certain que la proximité avec les pauvres est un critère très important. Si nous ne sommes pas capables de regarder le monde de près, de partager le regard des pauvres, qui est le regard de Jésus sur la Croix, alors nous avons tort de prendre des décisions. Il s'agit d'un critère très clair. Si les pauvres ne peuvent pas être soignés, ne peuvent pas avoir de travail, alors le monde n'est pas bon. Ensuite, un critère qui s'est imposé à cette époque est la prise en charge du foyer commun. Si la terre souffre, nous ne pouvons pas l'habiter.

Quelles sont vos réflexions sur l'Amérique latine, votre terre d'origine, où la force contagieuse du virus est encore si meurtrière?

Je ressens une grande douleur en voyant que la pandémie ne s'arrête pas. Je suis très inquiet car il n'y a pas de structures sociales ou politiques pour vraiment faire face à cette urgence. Je souhaite vivement profiter de cette occasion pour voir quels changements doivent être apportés à ces structures afin d'assurer un meilleur avenir à tous les Latino-Américains.

D'un point de vue plus général, quelles sont les pierres angulaires de la spiritualité ignatienne les plus urgentes dans la mission de l'Ordre aujourd'hui?

Au cœur de l'expérience ignatienne, et donc de la spiritualité, se trouve la rencontre personnelle et profonde avec Jésus-Christ, le Crucifié ressuscité, qui conduit à une telle familiarité avec Dieu que nous sommes capables de Le trouver en tout et à tout moment. La rencontre avec Jésus Christ devient une expérience libératrice précisément pour cette raison, parce que l'on acquiert cette liberté intérieure comme condition pour être guidé par l'Esprit, c'est-à-dire la pleine disponibilité à faire seulement ce que Dieu veut, sans s'attacher à une personne, un lieu ou une institution.

Les conséquences de cette rencontre sont la familiarité avec Dieu, qui permet une vie véritablement de prière et de service, et le fait d’être libre, c'est-à-dire prêt à faire ce qui doit être fait. L’Examen, peut-être l’une des caractéristiques moins connues de la spiritualité ignatienne, est une façon de remercier le Seigneur pour sa manifestation dans l'histoire, en réussissant à être guidé par l'Esprit, en étant complètement attentif à cette guidance qui est une exigence de la vie basée sur le discernement dans la mission.

Vous faites référence à l'examen de conscience...

Exactement, un examen que saint Ignace recommande de faire au moins deux fois par jour, mais aussi de le faire à des moments particuliers de la journée. Le lien entre la vie ordinaire et la vie spirituelle ne doit pas être rompu. On ne peut pas détacher la vie spirituelle du travail, tout va ensemble, sinon ça ne marche pas. J'ai lutté au fil des ans pour trouver un mot qui rapproche la vie et la mission. Ce ne sont pas deux choses que l'on peut séparer.

En ce qui concerne la collaboration entre laïcs et jésuites, quels sont les scénarios qui se dessinent aujourd'hui?

Rappelons qu'Ignace a écrit les Exercices Spirituels lorsqu'il était laïc et que l'expérience des Exercices est laïque. Il n'était pas prêtre. Il l'est devenu plus tard, lorsqu'il a vu que c'était la meilleure façon de rendre un service à l'Église à cette époque. Toute l'expérience de la conversion a été pour lui de trouver une méthode, une méthode faite par un laïc, dont le partage initial a été avec les laïcs.

Pour moi, c'est une grande joie aujourd'hui de voir comment la spiritualité ignatienne se développe dans le peuple de Dieu et comment se multiplient les personnes capables d'accompagner les autres sur ce chemin. Nous voulons vraiment donner à cet aspect une importance particulière dans notre travail de jésuite. Nous voulons essayer de transmettre cette expérience au plus grand nombre de personnes possible. Je connais des dizaines de laïcs qui sont de véritables experts dans les Exercices Spirituels, qui peuvent accompagner d'autres personnes et dont la vie a été transformée d'une manière qui rend grâce au Seigneur. Les Exercices Spirituels ne trouvent pas de barrières sociales : par exemple, dans les barrios d'Amérique latine, faire les Exercices dans la vie quotidienne est un don du Seigneur.

Comment évoluent les vocations à la vie religieuse jésuite et le processus de formation pour entrer dans la Compagnie ?

Le problème n'est pas le nombre, mais la qualité des personnes. Cela dépend de l'endroit où nous nous trouvons. Le nombre diminue dans les pays où nous étions traditionnellement plus nombreux, comme l'Europe, l'Amérique du Nord. Cependant, la qualité est très élevée, je peux le garantir, même si nous sommes moins nombreux que par le passé. Nous avons un grand nombre de candidats en Afrique et dans certaines régions d'Asie et nous faisons un grand effort pour proposer une formation à la hauteur de ce dont on rêve toujours pour un jésuite. C'est une formation longue, complexe et exigeante qui reste inchangée.

Saint Ignace n'a pas pensé à une branche féminine de la Société...

L'Ordre est ce qu'il est, mais la spiritualité éclaire de nombreuses autres réalités religieuses. Aujourd'hui, dans nos écoles, dans nos centres de spiritualité et de formation, dans nos centres sociaux, un grand nombre de femmes participent au niveau de la direction, en tant qu'inspiratrices de certaines activités, elles partagent la spiritualité et notre mission. Il n'y a pas de femmes jésuites, mais nous travaillons ensemble dans la même mission.»

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30 juillet 2020, 16:36