Mgr Éric de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims et président de la CEF Mgr Éric de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims et président de la CEF 

La lettre de Mgr de Moulins-Beaufort à Emmanuel Macron

Dans un texte d’une soixantaine de pages, publié le 3 juin, l’archevêque de Reims et président de la conférence des évêques de France dessine des pistes de réflexion sur l’après-covid 19. Intitulée «le matin sème ton grain», cette longue lettre répond à l’invitation qui avait été lancée le 21 avril dernier par le président français aux différents responsables des cultes en France d’apporter leur contribution au débat.

Des propos recueillis par Delphine Allaire-Cité du Vatican

Le texte de Mgr Éric de Moulins-Beaufort s’articule autour de quatre mots-clés qui en représentent les chapitres: mémoire, corps, liberté et hospitalité. Cette lettre garde volontairement un ton personnel, même si elle a été enrichie par les remarques du Conseil permanent de la Conférence des Evêques de France.

Dans sa réflexion, l’archevêque de Reims souhaite tirer les enseignements de cette période de confinement d’un point de vue spirituel, mais rappelle aussi l’importance de la voix de l’Église dans sa contribution au bien commun. “Ce n’est pas le politique qui va tout résoudre mais l’engagement de tout citoyen dans la recherche du bien commun et dans l’unité entre la liberté et la responsabilité”, nous explique-t-il au début de l’entretien qu’il nous a accordé.

Comment avez vous reçu cette démarche du président de la République de solliciter les réflexions de responsables religieux?

Je pense que le président est cohérent avec lui-même, il avait exprimé cette position aux Collège des Bernardins en avril 2018. Il est conscient, je pense, que les religions représentent des forces de compréhension de l’humanité, pour faire face aux crises et aux épreuves, mais aussi donner du sens aux joies de la vie. Il estime qu'il est de son rôle sans doute de collecter un peu tout ce que le nation peut produire comme réflexion. Je suis bien conscient pour ma part que ma réflexion n’englobe pas toute l’Église en France ni tous les catholiques français. D’autres évêques, d’autres prêtres, fidèles ou d’autres laïcs auront peut-être des réflexions complémentaires ou différentes, c’est cela qui fait la richesse de la réflexion commune.

Dans votre lettre vous développez quatre mots-clé. Quel en est le fil directeur général?

C’est l’Eucharistie. Cela peut paraître étrange mais en réflechissant je me suis demandé comment on pouvait regarder la réalité de cette épreuve, dans ce qu’elle a de positif et de négatif, et j’ai été frappé que vers la mi-mai on ait commencé à parler de la mémoire à garder de cet évènement, je me suis donc penché sur le fait biblique et chrétien du mémorial. Et l’Eucharistie est le mémorial des grandes oeuvres de Dieu. Dans la Biblie on fait mémoire, pas seulement pour commémorer ou pour se faire peur en souhaitant que tel évènement ne se reproduise pas, mais plutôt parce que l’on a conscience que Dieu est passé et que l’on veut se mettre dans les bonnes conditions pour qu’Il passe de nouveau et poursuive son œuvre jusqu’au bout. A partir de cela, on distingue quatre dimensions dans l’Eucharistie: le mémorial, le sacrifice, la communion et l’anticipation du banquet celeste. J’ai essayé de transposer ces quatre dimensions pour que cela soit utile à la réflexion sur la pandémie et ses conséquences.

Vous proposez notamment l’idée d’un “confinement un dimanche par mois”, un repos dominical: qu’est-ce qui la motive?

Pour beaucoup, je crois qu’on a vécu un moment intéressant -certains l’ont vécu douloureusement: le fait de ne plus pouvoir bouger, de sortir d’un temps où l’on est toujours dans l’action, en mouvement, de manière un peu frénétique, et donc je me suis demandé comment faire pour conserver ce que l’on a vécu, c’est-à-dire que l’on peut habiter en soi-même, habiter sa maison, essayer de trouver dans un temps plus lent et plus doux de quoi ouvrir son intériorité, et avoir des contacts les uns avec les autres plus riches, plus denses, comprendre que d’autres choses sont possibles. Ce qui a rendu possible cette expérience, c’est que le monde entier était confiné. Quand je dis un dimanche par moi, l’idéal serait un week-end par mois, au moins pour entretenir et cultiver les attitudes profondes que nous avons découvertes dans ce temps de confinement. J’indique quand même aussi que cela a pu être douloureux pour certains parce qu’ils sont mal logés ou que leurs relations familiales sont difficiles, et qu’il faut justement aussi une réflexion et un travail collectif pour rendre les conditions d’habitation de tous supportables en cas de confinement.

En quoi cette pandémie est-elle aussi un avertissement?

L’avertissement en soi est plutôt banal, il y en a beaucoup depuis plusieurs années sur le fait que notre mode de vie très performant qui nous offre beaucoup de confort d’excitation et de belles expériences n’est pas durable et partageable à tous, que la planête s’épuise: tout cela on le sait depuis des décennies, et on le sait de plus en plus, et l’épidémie est de ce point de vue-là un avertissement supplémentaire. J’ai voulu souligné en plus que dans l’histoire sainte, quand Dieu avertit, et éventuellement punit, c’est toujours aussi la promesse qu’une autre manière de vivre est possible, que les hommes sont capables de vivre autrement. Nous ne sommes pas prisonniers d’une espéce de mécanique qui nous entraîne dans un temps de plus en plus frénétique, dans une activité de plus en plus fébrile, sans que l’on ait la possibilité de se reprendre, de réfléchir, de vivre les choses profondément. L’épidémie a une valeur d’avertissement, mais le confinement, avec ce qu’il a eu d’heureux et de douloureux, est donc la promesse que l’on peut vivre autrement. Finalement on s’est découvert capables de se rester un peu en soi, avec les autres, sans beaucoup bouger.

Quelle peut être la contribution de l’Eglise et des catholiques français dans ce monde d’après?

Je pense que les hommes de foi en général, les chrétiens et les catholiques en particulier, ont une capacité à vivre cette nécessité d’habiter et de s’habiter soi-même, nous avons des ressources considérables. Le fait d’ailleurs de vivre le confinement pendant le Carême et la Semaine Sainte nous a permis de donner du sens à ce confinement. Passer une semaine à contempler Jésus, à le suivre dans les étapes de sa Passion et à goûter la joie de la Résurrection était formidable. Très souvent les gens, pendant cette semaine, courent à l’école ou au lycée pour les enfants, sont absorbés par leur profession pour les adultes, ont du mal à renoncer à une vie mondaine et sociale. Or, là, beaucoup ont pu vivre intensément les liturgies, même en s’y associant par vidéo, et ont pu redécouvrir que cela donnait une ampleur à leur vie, une profondeur, que cela touchait et dilatait leur coeur. Je pense que beaucoup de catholiques ont vécu une semaine sainte comme jamais et que cela restera la norme.  

Entretien avec Mgr Éric de Moulins-Beaufort

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04 juin 2020, 16:49