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Covid-19: notre rapport à la mort change et «la vie devient plus précieuse»

L’épidémie de Covid-19, qui fauche chaque jour de nombreuses vies, est venue placer la mort au cœur de notre quotidien. Elle n’apparaît plus comme «une fiction» mais devient «obsédante et tangible» observe Marie-Jo Thiel, médecin et théologienne.

Entretien réalisé par Hélène Destombes - Cité du Vatican

Autrefois lointaine, ignorée, la question de la mort se fait aujourd’hui plus proche, s’invite dans nos discussions, envahit nos pensées et parfois nous assaille. Avec les progrès de la médecine, à l’heure de la maîtrise du vivant, notre perception de la mort a été profondément transformée. Le transhumanisme s’est employé à maitriser notre condition humaine et à repousser les frontières de la mort.

 

Cette pandémie, qui s’accompagne d’un nombre effroyable de décès dans le monde entier, vient nous rappeler que nous sommes des êtres vulnérables et change notre rapport à la mort. Le confinement a par ailleurs rendu extrêmement difficile l’accompagnement des défunts, provoquant des deuils traumatiques relève Marie-Jo Thiel, médecin, professeure de théologie à l’Université de Strasbourg, et membre de l’Académie pontificale pour la vie.

Entretien avec Marie-Jo Thiel, médecin et théologienne.

Jusqu'à présent la mort pouvait paraître comme une fiction et maintenant elle devient très proche, elle devient une réalité, elle prend le visage de personnes que l'on connaît, elle devient obsédante, tangible. Cela concerne l’ensemble de la population mais aussi les professionnels de la santé à tous les niveaux. Pour les plus jeunes, c'est le premier contact avec la mort et elle est épouvantable parce que les rites ne peuvent pas se faire. Jusqu'à présent, la vulnérabilité semblait dépassée à cause de la rhétorique que l'on entend tout le temps sur la santé augmentée, la technologie. Et là, on assiste à un chaos, une étrangeté, un sentiment de fin du monde comme si la mort devenait contagieuse elle-même. C'est la mort de personnes mais aussi la mort des relations, la mort de l'économie la mort de ce qui nous constitue en tant qu'humain. Il y a donc aujourd’hui des choses très difficile que nous vivons.

Nous assistons chaque jour impuissants à la mort de milliers de personnes, les chiffres du nombre de victimes égrenés par les médias du monde entier font désormais partie de notre quotidien. La mort est-elle aujourd'hui banalisée?

Oui elle est banalisée parce que tous les jours il y a de nombreuses pages dans les journaux évoquant la mort. On est sidéré par cette mort, c'est une mort qui est banalisée parce que l'on ne sait plus quoi en faire. Elle est aussi déshumanisée parce qu’il est impossible d'accompagner les défunts. On ne peut pas aller au cimetière, il n’y a pas d'enterrements. Les soignants, surmenés, essaient de tenir la mort à distance mais, même si ce n'est pas leur corps de métier, il est inhumain de laisser mourir seules des personnes quand les proches ne peuvent pas les accompagner. Il faut vraiment que cette situation change. Le 17 avril dernier, le Comité national d'éthique en France a pris position en indiquant qu’il fallait mettre en balance les risques sanitaires de transmission, qui sont réels, avec les risques psychologiques éminemment importants. Il fallait clarifier cette position parce que sans rites, sans pouvoir voire le visage des défunts, la séparation entre les vivants et les morts, qui est une codification participant de l'organisation du vivre-ensemble, n'est pas vraiment possible. Il y a donc une nécessité d’assigner une place aux morts pour que les vivants puissent continuer à vivre.

Les rites autour de la mort, on l'observe dans l'Histoire, sont extrêmement importants. Ils donnent un sens à la mort, permettent de vivre le deuil au niveau personnel comme au niveau social. En être privé peut avoir de lourdes conséquences?

Oui de très lourdes conséquences parce que l’on risque de créer un deuil traumatique, compliqué. Les représentations de la mort sont sources de souffrance et d’angoisse, chez les adultes comme chez les enfants. Une culpabilité pathologique peut se mettre en place. Le moment de la mort est très souvent l’occasion de demandes de pardon, de réconciliations, il y a des adieux qui se font. Si tout cela ne peut se faire, il peut y avoir des répercussions, des formes de deuil traumatique. Le deuil normalement commence avec l'accompagnement des mourants.

Comment dans le contexte actuel maintenir un lien, accompagner les personnes en fin de vie en étant à distance?

C'est vraiment difficile mais il faut utiliser tous les moyens, notamment technologiques, que l'on a à disposition pour permettre ce dernier adieu. Certains services autorisent actuellement la présence d’un aumônier. Réciter une prière est important pour celui qui part, mais aussi pour les proches. Les rites sociaux sont extrêmement importants, partager des vidéos, des encouragements… Je suis étonnée du nombre de personnes qui innovent, qui font preuve de créativité.

Notre rapport à la mort est en train de changer, et par conséquent notre rapport à la vie change également, elle devient plus précieuse, en avons-nous une perception différente?

Je crois oui, la vie devient précieuse, on la comprend mieux. La vulnérabilité était pour la technologie «l’ennemi à abattre». Or, aujourd’hui, nous prenons conscience que notre vie est d'autant plus précieuse que nous sommes vulnérables. La vulnérabilité n'est pas que négative dans le sens où elle nous permet d'entrer en contact avec l’autre, d'éprouver de la compassion de nous rendre inventif, et comme le dit le Pape François, d’acquérir des anticorps de la solidarité. Et il y a un lien entre cette pathologie et la question de l'environnement. Je crois que l’encyclique Laudato Si' n'a jamais été aussi importante actuellement, alors que l'on prend conscience de ce lien très fort entre notre vie et la vie de la planète toute entière, la vie de tous les vivants. Il faut essayer de construire dans nos vies, solidairement, du sens autour du chaos, de la mort en convoquant des symboliques séculière et religieuse, en inventant des «faire mémoire» pour nos défunts, pour leur dire adieu et pour aller de l'avant. Cela permet de continuer le combat, mais un combat qui est humble.

Comment en tant que chrétien appréhender notre propre mort et celle de nos proches dans le contexte actuel?

Il ne faut pas avoir peur de la mort parce qu’en Christ la mort est déjà vaincue. Nous restons des vivants en Dieu, des hommes et des femmes que Dieu aime. Le chrétien est celui qui n’a pas peur d’appréhender sa mort, même si elle reste une épreuve, même si en particulier aujourd’hui elle représente du tragique, dans la mesure où le chrétien a des ressources spirituelles pour construire du sens autour de la mort, parce qu’il se souvient que celui ou celle qui part reste vivant en Dieu.

Son cœur continue de battre dans le cœur de Dieu, et en Christ il continue de battre dans le nôtre. Quand nous partirons, nous resterons des vivants qui allons nous assoir à la table de Dieu pour vivre encore comme vivants dans le face-à-face éternel. 

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30 avril 2020, 07:13