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Une rue de Bergame le 9 mars 2020. En Lombardie, 16 millions de personnes sont actuellement confinées. Une rue de Bergame le 9 mars 2020. En Lombardie, 16 millions de personnes sont actuellement confinées.  

Confinement en Italie: «c’est comme l’épreuve du peuple dans le désert»

L’Italie entame ce mercredi son deuxième jour de quarantaine. Suite au décret signé lundi soir par le chef du gouvernement Giuseppe Conte, tous les Italiens sont sommés de limiter leur déplacements, au moins jusqu’au 3 avril. Témoignage d’un prêtre enseignant au séminaire de Bergame, dans la province la plus touchée par l’épidémie de coronavirus.

Entretien réalisé par Adélaïde Patrignani – Cité du Vatican

Le confinement imposé dès lundi soir à toute l’Italie fut une nouvelle mesure inattendue pour la plupart des villes de la péninsule, mais pas pour quatorze provinces du Nord, endurant déjà cette situation depuis deux jours: Venise par exemple, Milan ou encore Bergame, la province italienne comptant le plus grand nombre de malades du coronavirus. Ils sont plus de 1400 dans cette province du nord-est, selon les chiffres communiqués par la région Lombardie mardi 10 mars, et parmi eux, un étudiant du séminaire de Bergame. Au séminaire confiné restent deux élèves, les visites sont interdites, une vingtaine de prêtres y vit au rythme de la prière… Tout a changé pour eux. S’ils parviennent à trouver un sens cette épreuve, certains aspects restent douloureux, comme l’absence de relations avec des personnes extérieures, en particulier les malades. C’est ce que nous explique Don Claudio Avogadri, prêtre du diocèse de Bergame. Il enseigne la théologie au séminaire.

Témoignage de don Claudio Avogadri

On ne peut plus avoir de contact avec les employés, tous ceux qui travaillent dans le séminaire, avec les deux séminaristes qui sont restés dans le séminaire. On fait une vie communautaire entre nous – on est une vingtaine de prêtres -, mais on ne peut pas avoir de contacts avec l’extérieur. Comme ça fait déjà deux semaines qu’on est conscients de la situation, ça pouvait arriver, c’était prévisible que quelqu’un parmi nous puisse avoir le virus. Ça touche quand même, parce que ça touche beaucoup nos activités, ça nous à tout revoir, à redécouvrir un style, à retrouver les rapports, forcément, parce qu’on ne peut pas bouger.

Est-ce douloureux cette absence de relations, de proximité avec les malades?

En fait oui et non, parce qu’on est confiant dans le fait que le monde va et qu’il y a d’autres prêtres qui s’en occupent, et que tout cela ne dépend pas de nous. C’est compliqué de renoncer parce qu’en fait c’est un renoncement à soi-même, à penser que tout dépend de nous. On est obligés de rester et de transformer en prière le fait d’être loin.

Est-ce que vous découvrez une autre dimension de la prière et de la vie de foi?

Forcément. Il ne nous reste que l’intercession, car il n’y a pas d’autres moyens pour rester proche des autres. Moi aussi j’ai reçu des nouvelles de gens qui ne vont pas bien, de gens qui sont morts et que je connais, et je ne peux pas les rejoindre, surtout que ces derniers jours ils ont interdit les obsèques aussi, donc c’est compliqué. Il faut tout transformer en intercession parce que sinon, on risque vraiment de se sentir trop loin.

On comprend qu’il y a un vide créé par l’absence de sacrements, l’absence de célébrations liturgiques. Comment accueillir ce vide?

C’est un véritable vide, surtout après quelques semaines… et surtout si l’on pense que ça va durer encore quatre semaines. Ça nous oblige à retrouver l’esprit avec lequel on a ouvert le Carême, l’Évangile de Matthieu, qui dit qu’il faut «retrouver le Père dans le secret», dans le secret de nos chambres… C’est-à-dire transformer le jeûne de l’Eucharistie en quelque chose d’autre, en une opportunité de vivre un “style eucharistique”, où l’on peut, à travers la prière, à travers le service, transformer notre vie en Eucharistie, on peut dire ça. D’ailleurs cela s’est vu plusieurs fois dans l’Histoire: Charles de Foucauld a vécu de nombreux jours sans célébrer l’Eucharistie, il a transformé sa vie en Eucharistie, et c’est cela que nous devons faire. Autrement, on est obligés de se plaindre continuellement, ce qui ne permet pas de vivre la charité.

Quelle place prend la Parole de Dieu?

Dans ces jours-ci, il ne nous reste que cela. C’est comme l’épreuve du peuple dans le désert. La preuve: c’est quelque chose dont personne ne veut, mais qui devient à cette occasion le terrain où l’on peut et l’on doit redécouvrir la promesse de Dieu et notre fidélité. C’est donc une occasion dont personne ne veut, mais il faut rester, cela fait partie de l’obéissance à la réalité, et c’est à partir de là qu’on peut vraiment faire un acte de charité, d’amour.

Vous, plus personnellement, qu’est-ce qui vous fait tenir?

La seul chose à laquelle je pense ces jours-ci, c’est en contemplant la Croix de Jésus: je me dis que c’est la même chose, c’est-à-dire que Jésus non plus n’avait pas choisi la Croix. Il n’a pas choisi la Croix, Il a choisi d’aimer, mais il arrive parfois dans la vie où la Croix, c’est-à-dire les choses dont on ne veut pas, devient l’unique moyen pour dire que l’on aime quelqu’un. Si l’on est capable, en chrétien, de vivre ce temps-là comme cela, alors on fait vraiment Carême, et l’on peut vraiment se préparer, dans nos cœurs, à la Pâque.

Quel regard posez-vous sur l’avenir, tout en sachant que l’on s’oriente vers Pâques?

On ne sait vraiment pas ce qui nous attend. En même temps, on assiste à beaucoup de choses: il y a des gens qui montrent des comportements vicieux – et cela, il faut le dire-, mais il y a aussi des gens qui sont vraiment vertueux, et qui montre une capacité de solidarité, de reconstruction, de positivité par rapport à la vie commune. C’est ça qu’il faut surtout regarder. Ce qu’il nous reste [à faire], c’est de repartir d’ici pour redécouvrir les raisons de nos liens, les réseaux sociaux qui nous attachent les uns aux autres. C’est cela, je crois, qui compte et qui nous donne à penser pour repartir.

Est-ce que vous pensez que l’Italie peut sortir fortifiée de cette épreuve?

Je l’espère bien, mais ce n’est pas évident. Cela dépend de nous, cela dépend de nos choix et de notre force de volonté. Ce n’est pas évident, parce qu’à partir de cette situation-là, si on est vraiment réalistes, si on ne nie pas la réalité, tout peut sortir, même un comportement de division, de séparation. Donc il faut lutter, il faut être présent, il faut vraiment être chrétien jusqu’au bout, en disant: “oui, on croit en l’unité possible, en une solidarité, en des valeurs qui peuvent nous relancer”.

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11 mars 2020, 11:12