Les rues de Damas désertes, le 23 mars 2020. Les rues de Damas désertes, le 23 mars 2020.  

Exsangue après neuf ans de guerre, la Syrie redoute la pandémie

En plein drame humanitaire, la Syrie vit désormais sous la menace du coronavirus. Un premier cas a été officiellement déclaré, et des mesures de prévention sont déjà mises en œuvre. Pour savoir comment les habitants perçoivent ce nouveau danger, nous avons recueilli le témoignage du frère Georges Sabé, de la communauté mariste d’Alep.

Entretien réalisé par Adélaïde Patrignani – Cité du Vatican

La Syrie a confirmé dimanche 22 mars un premier cas de contamination au coronavirus, une personne arrivée de l’étranger, comme l’a annoncé le ministre de la Santé, Nizar Al-Yaziji.

Certaines voix s’interrogent toutefois sur le nombre réel de malades, en raison de la propagation du Covid-19 dans tous les pays voisins, comme la Turquie, le Liban, l'Irak ou encore l'Iran, où plus de 1 500 morts ont déjà été recensés.

Dans une Syrie encore en guerre, il est difficile de faire des dépistages, et certains médecins sonnent l’alerte face à des syndromes qui seraient ceux du virus: comme le rapporte RFI, c’est notamment le cas à Idleb, où s'agglutinent plus d'un million de déplacés à la frontière turque. 

Le gouvernement syrien s’est toutefois lancé dans la prévention, lançant vendredi dernier une série de mesures, telles que la fermeture de tous les établissements scolaires jusqu’au 2 avril prochain. Deux centres de quarantaines seront aménagés et équipés dans chacune des provinces du pays. Dimanche, ces mesures ont été renforcées, et les transports publics suspendus.

Mais la Syrie reste profondément démunie face à la menace épidémique. Depuis mars 2011, les infrastructures sanitaires ont été bombardées à plusieurs reprises par l’armée du régime, et les troupes de son allié russe. Le frère Georges Sabé appartient à la communauté mariste d’Alep, la deuxième ville du pays. Il fait part de la situation actuelle et lance un appel à la solidarité entre tous les pays du monde.

Entretien avec frère Georges Sabé

Aujourd’hui, Alep ressemble beaucoup à une ville aux trois-quarts paralysée. On n’a pas encore été avertis par les autorités sanitaires de la ville ni du pays de rester confinés. Les écoles et les universités ont été fermées. Tous les gens ont invités à rester chez eux, mais c’est une invitation, ce n’est pas encore une décision obligatoire pour tout le monde. Les hôpitaux essayent de se préparer. On fait attention, et n’oubliez pas que nous avons subi pendant neuf ans la guerre, alors tout cela augmente chez les gens d’une part l’espérance qu’un jour tout va être terminé, et d’autre part aussi les craintes d’une pandémie.

Avez-vous les forces matérielles, et aussi humaines, psychiques, après ce traumatisme de la guerre, pour faire face à une épidémie?

La force psychique et spirituelle, nous l’avons. Nous avons toujours gardé l’espérance, notamment qu’un jour la guerre se termine et que le pays puisse se reconstruire. La force psychique, nous l’avons car nous avons vécu avec beaucoup de résilience tout le drame de la guerre, mais matériellement je crois que le pays malheureusement ne saurait pas résister si la pandémie se déclare chez nous aussi, parce qu’il y a l’embargo sur la Syrie. Cet embargo touche aussi le secteur sanitaire du pays. C’est une situation dramatique. Nous manquons, à cause de l’embargo, de beaucoup de matériel. En même temps, nous espérons que l’embargo soit levé un de ces jours, et que l’on puisse retrouver tout ce que nous avions comme matériel, qu’il soit sanitaire ou d’autres domaines aussi.

Concernant la prévention, très concrètement, avez-vous des masques, des gants pour tout le monde?

Nous avons des masques, mais c’est vraiment très limité. Vous savez, après neuf ans de guerre, un pays qui avait commencé à se reconstruire ne peut pas passer par une crise sanitaire très grave comme celle qui est en train d’envahir le monde entier. Nous ne pouvons pas résister malheureusement. Il y avait déjà une crise économique très grave, il y aura encore plus de pauvreté, plus de misère, plus de gens qui, s’ils tombent malades, n’auront pas accès aux soins dont ils ont besoin pour pouvoir guérir. Ce serait très grave, nous espérons que ça n’arrivera pas, mais si la réalité nous conduit à affronter le thème du virus, dans notre pays ce serait vraiment une catastrophe au niveau national.

Comment percevez-vous les décisions de confinement prises par différents pays, n’y a-t-il pas un risque de «chacun pour soi», et la Syrie serait finalement totalement oubliée?

Je considère qu’aujourd’hui, nous sommes en train de vivre une nouvelle réalité, tout le monde, nous sommes tous touchés. Nous sommes tous vulnérables, nous sommes tous invités à être solidaires les uns des autres. Si nous n’avions pas la possibilité de voyager, nous étions obligés de rester confinés dans notre pays à cause de notre situation de guerre, aujourd’hui le monde entier est en train d’expérimenter la même chose, mais à cause d’un virus. D’autre part, nous sommes aussi invités à nous regarder en face et nous dire «nous sommes des hommes et des femmes», nous avons à nous tenir ensemble, même si c’est à un mètre et demi de séparation l’un de l’autre, nous devons nous tenir solidaires l’un de l’autre. Et je crois que mon pays, comme les autres pays du monde aujourd’hui, a besoin d’être [solidaire] et de sentir la solidarité mondiale. Je pense beaucoup à toutes les personnes déplacées, qui se retrouvent dans des camps de déplacés en dehors ou à l’intérieur de la Syrie; je pense à beaucoup de personnes qui ont perdu leur maison et qui se retrouvent dans une situation dramatique; je pense à ceux qui manquent d’eau, d’hygiène, de santé et de services médicaux; je pense à toutes les personnes qui sont fragiles et qui ont besoin d’être soutenues aujourd’hui. Je crois qu’il y a une nouvelle réalité, nous devons la lire très vite et apprendre de cette réalité mondiale qu’il y a un mouvement qui est en train d’émerger, un monde où on ne peut qu’être solidaires les uns des autres.

Et quel regard de foi portez-vous sur la situation?

Tout cela, je crois que notre foi, notre foi en Jésus-Christ, notre foi en Dieu, notre foi en la personne humaine qui est capable elle aussi de regarder l’autre en face, notre foi est une invitation à rencontrer l’autre et à l’aimer tel qu’il est, et non pas à créer de nouvelles guerres dans le monde.

Avez-vous aussi des nouvelles de la situation à Idleb?

Malheureusement nous n’avons aucune nouvelle parce qu’Idleb est tenue entre les mains des terroristes, elle est tenue entre les mains de ces personnes qui sont venues engager la guerre en Syrie et nous n’avons aucune nouvelle. Tout ce que je sais, c’est que nous avons des jeunes gens qui ont été pendant le mois de février, qui ont été tués pendant la guerre dans cette région de la Syrie; mais d’Idleb elle-même je n’ai rien. Je pense aussi maintenant aux quelques familles chrétiennes qui se trouvent dans la campagne autour d’Idleb et qui sont retenues par les jihadistes, comme dans trois villages en particulier.

Est-ce qu’au sein de votre mission à Alep, vous vivez cette période de Carême selon un axe particulier?

Nous la vivons pleinement comme une période de préparation à Pâques, donc une période d’espérance avant tout, une période de solidarité, et un temps de prière. Nous avons maintenant, et de plus en plus, le temps réel et matériel pour prier et nous mettre entre les mains de Dieu. Nous organisons, à travers les moyens de communication, les réseaux sociaux, des temps de prière pour nos enfants, pour nos jeunes, pour nos familles, pour que tous puissent aussi prier, même si nous sommes séparés par la distance, mais nous serons près, par la proximité et la prière. Le Carême c’est aussi un moment de retour à notre foi, de retour à notre cœur, à cette relation à Dieu qui nous permet d’entrevoir l’espérance que nous n’avons jamais perdue. À chaque fois qu’il y a une crise, elle s’ébranle mais elle revient de nouveau.

Merci beaucoup père. Voulez-vous ajouter un mot?

Je voudrais seulement exprimer toute ma solidarité, avant tout avec le peuple italien qui est en train de souffrir, avec tous les malades, tous ceux qui sont atteints par le virus, et je voudrais aussi penser à tous les infirmiers et les infirmières et tout le corps médical du monde entier, qui sont en train de faire un travail très fort pour sauver l’humanité. Merci à vous, et nous restons unis dans la prière.

 

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24 mars 2020, 06:56