Le père Nicolas Lefébure, des missions étrangères de Paris. Le père Nicolas Lefébure, des missions étrangères de Paris. 

Dialogue interreligieux en Thaïlande: le témoignage d'un prêtre des MEP

Le père Nicolas Lefébure, prêtre des Missions étrangères de Paris, témoigne des relations de respect qui se vivent en Thaïlande entre chrétiens et bouddhistes.

Ce jeudi 21 novembre, le voyage du Pape en Thaïlande a pris une résonance interreligieuse. François s’est entretenu avec le Patriarche suprême des bouddhistes, pour faire grandir, non seulement le respect, mais aussi l’amitié entre leurs communautés, pour montrer que la culture de la rencontre est possible dans un monde pourtant «enclin à générer et à propager des divisions et des exclusions».

Le Pape souhaite que ce bon voisinage se poursuive grâce à des échanges académiques mais aussi des œuvres de charité, qui font partie intégrante de la mission et du témoignage chrétien. Depuis de leur début de leurs activités en Asie en 1663, les Missions Étrangères de Paris ont développé un apostolat empli d'un profond respect et d'une connaissance extrêmement fine des cultures asiatiques, sur le plan à la fois religieux et culturel.

Le père Nicolas Lefébure est le représentant des MEP à Bangkok, la capitale thaïlandaise, où il est aussi l'aumônier des francophones. Après avoir passé neuf ans dans des villages de montagne, nous parle de son expérience des relations interreligieuses dans le pays. 

Entretien avec le père Lefébure

Le fait est qu’il y a qu’il y a un amalgame très fort entre l’identité thaï, la culture thaï et la religion bouddhique, à tel point que si l’on demande à un Thaï «Quelle est votre religion ?» il risque de répondre «Je suis thaï». Le message chrétien leur paraît un peu étranger parce qu’il ne correspond pas à leur héritage culturel et ils ont un peu tendance à l’identifier avec quelque chose qui vient d’ailleurs, mais ce n’est pas gênant car dans la philosophie qui est la leur, ils sont attentifs aux gestes bons.

J’ai été dans la montagne pendant neuf ans, notamment dans un village où la moitié de la population est chrétienne et l’autre bouddhiste. Je connais bien le bonze et j’ai eu l’occasion de l’entendre dire «Le père Nicolas et moi on fait la même chose. Le père Nicolas a une école et scolarise tous les enfants, chrétiens et bouddhistes ; moi, à la saison des pluies, j’embarque tous les villageois pour réparer la piste qui a été détruite par les inondations. Et puis il n’y a pas si longtemps, les familles manquaient de sel : je suis allé trouver le père Nicolas, on a acheté des sacs de sel et on les a offert ensemble aux familles qui en avaient besoin».

Donc, le catéchisme de l’Église qui aide les personnes à être de bonnes personnes est très bien reçu. La liturgie, qui est belle, touche les cœurs : les bouddhistes aiment bien écouter des histoires de Jésus et entendre des cantiques.

Mais laissons la conversion au Saint-Esprit, il s’agit plus d’une cohabitation fraternelle et joyeuse. Il y a un vivre-ensemble qui est tout à fait possible mais le socle bouddhique est aussi très solide. Pour l’instant les gens restent très attachés à cette voix de libération que représente le bouddhisme.

Si des Thaïs bouddhistes, des bonzes par exemple, comprennent très bien la radicalité de votre choix de vie ou les bonnes œuvres, les deux spiritualités n’ont pas vraiment la même approche. Comment comprendre ce que l’une et l’autre portent?

Dans la relation chrétiens-bouddhistes, le christianisme est une voix de libération, libération de l’esclavage du péché, et le bouddhisme est également une voix de libération, libération de la souffrance, de l’attachement. On est un peu sur deux lignes de crêtes parallèles, deux sommets de la vie spirituelle. Ces deux lignes parallèles ne se croisent pas forcément et on peut se poser la question de savoir à quel point elles convergent.

Je pense que vous trouverez des bonzes très instruits sur leur doctrine voire sur le contenu de la foi chrétienne, de l’expression du mystère chrétien. Des livres ont été écrits et certains bonzes ont encouragé les bouddhistes à étudier le christianisme pour savoir ce qui nous habite. Mais ceci reste l’affaire de spécialistes, je pense que les Thaïs ordinaires ne vont pas creuser à ce point.  Il faut, en fait, toujours penser au dénominateur commun: poser des gestes bons. Ça ne va pas beaucoup plus loin, finalement, c’est lisible, c’est convaincant et ça suffit.

Quand on veut annoncer la bonne nouvelle, il faut déjà pouvoir être compris. Est-ce possible quand on n’a pas du tout les mêmes conceptions? Est-ce qu’ils comprennent ce que Dieu veut dire, ce que le péché veut dire, ce que la confession veut dire?

Un jour un chef chrétien me dit dans un village : «Père Nicolas ne vous mettez pas en tête d'essayer d’apprendre notre langue par cœur, de nous faire des homélies, de la théologie en veux-tu en voilà. Je vais vous dire quelque chose: la messe c’est quand même intense, on ne comprend pas tout. Quand bien même un prêtre karen passerait par là et célébrerait pour nous la messe dans notre langue, en karen, on ne comprendrait pas tout. N’allez  pas vous compliquer la vie à essayer de nous prêcher des choses. Vous entrez dans une maison, vous allez vous asseoir à côté de la table à feu, vous mettez le doigt dans le pot de piment, vous goûtez et vous touchez les cœurs.»

Je pense donc que ce qui touche les gens n’est pas de l’ordre du discours. Bien sûr, on se passionne pour les traductions qui ont pu être faites, les mots qui ont été forgés - en empruntant éventuellement au fond bouddhique - pour essayer de rendre compte des notions chrétiennes. Ils ne correspondent pas tout à fait, alors les linguistes se passionnent pour la question.

Mais je pense que les gens regardent davantage le fait de s’asseoir à leur table, de passer du temps avec eux, d’être attentif à la vie de la famille, au devenir des enfants. J’ai passé neuf ans, comme ça, dans la montagne. J’ai quelquefois été un peu dépassé car ce n’est pas évident d’aller en profondeur dans une langue qui n’est pas la nôtre. Les gens ont une vraie vie intérieure et disent de belles choses. Mais à notre stade, je pense que le plus important est de les accompagner, d’être présent de manière fraternelle, simple, d’apporter un certain secours, un supplément d’amour, un supplément de pardon, un supplément d’éducation pour des gens démunis. Le message chrétien passe aussi par-là, et ne relève pas uniquement de l’exposé doctrinal.

Finalement, ce qu’il faut faire, c’est exister pour les catholiques et parmi les bouddhistes?

L’expérience montre que le cercle s’élargit quand on visite les personnes. Je pense qu’un aspect important du ministère c’est d’aller voir les gens. Par exemple dans la montagne, lorsque j’allais célébrer la messe dans un village, je ne pouvais pas tourner casaque et rentrer à la base arrière une fois la messe dite. Ça aurait été un coup d’épée dans le dos. Il faut passer du temps avec les gens, rester une nuit ou deux dans le village, dormir dans une maison, dormir dans une autre, alterner, donner l’occasion aux gens de vous accueillir et passer du temps avec eux. On n’est jamais seul d’ailleurs, lorsqu’on est dans une maison, le voisinage grimpe dans la maison, tout le monde est là. La visite que l’on fait à une famille dépasse toujours le cadre de la famille. Le voisinage est présent, les voisins sont curieux et ils ne sont pas forcément chrétiens. Chez les Karens, on ne tire pas la sonnette pour savoir si on peut rentrer et on ne téléphone pas pour demander si la personne est là: on monte l’échelle et on s’installe! C’est donc l’occasion de rencontres qui dépassent toujours le rassemblement qui a précédé, à savoir celui de la communauté si on a dit la messe dans la chapelle du village, ou la visite à la famille s’il s’agit simplement de se rendre auprès d’un foyer. Dans tous les cas, on touche beaucoup plus de gens qu’on n’en avait l’intention. Tout se fait assez naturellement, dans le cadre de la vie du village. La rencontre est toujours accompagnée d’une bénédiction, on lit l’Évangile du jour, et on prie autour d’un petit autel de prière à la maison. Les gens qui ne sont pas chrétiens sont là aussi car la bénédiction s’étend à tous. Il y a une certaine douceur dans l’annonce, des occasions de rencontre qui font que les gens sont libres mais que l’Évangile est entendu.

On voit beaucoup de sapins de Noël: est ce que les gens savent ce que c’est Noël?

En voyant les décorations dans les super malls, les gens font une lecture festive de Noël – je dis festive pour ne pas dire commerciale, car nos amis thaïs ont quand même un minimum conscience que Noël est une fête religieuse, même s’ils en ignorent le contenu. Je me souviens avoir entendu poser quelques questions à un bonze, par exemple: «Quelle est la différence entre le christianisme et le bouddhisme?» le bonze répondait «C’est pareil!», un peu dans la lignée de ce que je vous disait tout à l’heure sur ce dénominateur commun: poser des actes bons. Mais lorsque la question a été plus précise: «Nous croyons que le Verbe de Dieu a pris chair, qu’il est venu partager notre humanité, qu’est-ce que vous en pensez?» Réponse: «C’est pareil, c’est pareil, c’est pareil!» Donc je pense que cet aspect du mystère chrétien - la Parole de Dieu est venue et elle a habité parmi nous - n’est pas du tout compris. Il n’y a pas de Dieu dans le bouddhisme, qui renvoie donc à une perception très différente de ce qu’est l’homme et le monde dans lequel nous sommes. Il n’y a pas de rejet, il n’y a pas d’incompréhension comme on pourrait l’imaginer de la personne qui aurait les mêmes critères de raisonnement ou les mêmes canons de pensée que les nôtres. Il y a une telle différence qu’ils restent bienveillants mais ils passent quand même très à côté de ce que représente la Nativité pour un chrétien.

En tout cas il n’y a pas d’animosité, ce qui est quand même l’essentiel?

Il y a peut-être eu, dans les décennies passées, une faction bouddhique qui a voulu faire du bouddhisme une religion d’État, mais le roi s’y est opposé. Le roi s’est toujours posé en garant de la liberté religieuse. Les chrétiens sont bien considérés, bien insérés dans la société.

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21 novembre 2019, 17:53