Christus vivit: «Nous demandons un espace dans l’Église»

Un an après le Synode sur les jeunes, des garçons et des filles du monde entier se confrontent avec "Christus vivit", l'exhortation apostolique du Pape François. Une oreille attentive ? Les « réponses préconçues » sont plus faciles. Dans “Christus vivit”, le Pape aborde un point délicat du rapport entre les jeunes et les adultes dans l’Église : le risque d’une vision du monde des jeunes marquée par un certain découragement. La jeune Roumaine Raluca Cocut, 26 ans, explique que l’Église est une «mère» pour les jeunes mais qu’ils veulent pouvoir s'y reconnaître.

Extraits de Christus vivit: 64-85

64. Après avoir consulté la Parole de Dieu, nous ne pouvons pas seulement dire que les jeunes sont l’avenir du monde. Ils sont le présent, ils l’enrichissent par leur contribution. Un jeune n’est plus un enfant, il se trouve dans une période de la vie où il commence à assumer diverses responsabilités, en participant avec les adultes au développement de la famille, de la société, de l’Eglise. Mais les temps changent et l’interrogation se fait entendre : Comment sont les jeunes aujourd’hui, qu’est-ce qui leur arrive à présent ?

En positif

65. Le Synode a reconnu que les fidèles de l’Eglise n’ont pas toujours l’attitude de Jésus. Au lieu de nous disposer à les écouter à fond, « la tendance prévaut d’apporter des réponses toutes faites et de proposer des recettes toutes prêtes, sans laisser émerger les questions des jeunes dans leur nouveauté, ni saisir ce qu’elles ont de provocant ». Au contraire, quand l’Eglise abandonne les schémas rigides et s’ouvre à l’écoute disponible et attentive des jeunes, cette empathie l’enrichit car « elle permet aux jeunes d’apporter quelque chose à la communauté, en l’aidant à percevoir des sensibilités nouvelles et à se poser des questions inédites ».

66. Aujourd’hui, nous les adultes, nous courons le risque de dresser une liste de calamités, de défauts de la jeunesse actuelle. Certains pourraient nous applaudir parce que nous semblerions habiles à trouver des points négatifs et dangereux. Mais quel serait le résultat de cette attitude ? Toujours plus de distance, moins de proximité, moins d’aide mutuelle.

 67. La clairvoyance de ceux qui ont été appelés à être père, pasteur ou guide des jeunes consiste à trouver la petite flamme qui continue de brûler, le roseau sur le point de se briser (cf. Is 42, 3), mais qui cependant ne se rompt pas encore. C’est la capacité de trouver des chemins là où d’autres ne voient que des murailles, c’est l’habileté à reconnaître des possibilités là où d’autres ne voient que des dangers. Le regard de Dieu le Père est ainsi, capable de valoriser et d’alimenter les semences de bien semées dans les cœurs des jeunes. Le cœur de chaque jeune doit donc être considéré comme une “terre sacrée”, porteuse de semences de vie divine devant lesquelles nous devons “nous déchausser” pour pouvoir nous approcher et entrer en profondeur dans le Mystère. 

Des jeunesses nombreuses

68. Nous pourrions essayer de décrire les caractéristiques des jeunes d’aujourd’hui, mais avant tout je veux rappeler une mise en garde des Pères synodaux : « La composition même du Synode a rendu visible la présence et l’apport des diverses régions du monde, en mettant en évidence la beauté d’être une Eglise universelle. Malgré un contexte de mondialisation croissante, les Pères synodaux ont demandé de mettre en relief les nombreuses différences entre les divers contextes et cultures, ainsi qu’à l’intérieur même d’un pays. Il existe une pluralité de mondes jeunes, si bien que dans certains pays on tend à utiliser le terme “jeunesses” au pluriel. De plus, la tranche d’âge concernée par le présent Synode (16-29 ans) ne représente pas un ensemble homogène, mais elle est composée de groupes qui vivent des situations particulières ».

69. Déjà du point de vue démographique, il y a beaucoup de jeunes dans certains pays, tandis que d’autres ont un taux de natalité très bas. Mais « une autre différence découle de l’histoire, qui fait que les pays et les continents d’antique tradition chrétienne, où la culture est porteuse d’une mémoire à conserver, sont différents des pays et continents marqués, en revanche, par d’autres traditions religieuses, où le christianisme constitue une présence minoritaire, et parfois récente. Par ailleurs, dans d’autres territoires, les communautés chrétiennes et les jeunes qui en font partie font l’objet de persécution ». Il faut aussi distinguer les jeunes « qui ont accès à une quantité croissante d’occasions offertes par la mondialisation, de ceux qui vivent en marge de la société ou dans le monde rural, et qui pâtissent des effets de diverses formes d’exclusion et de rejet ».

70. Il y a beaucoup d’autres différences qu’il serait complexe de détailler ici. Par conséquent, je n’estime pas opportun de m’arrêter pour fournir une analyse exhaustive sur les jeunes dans le monde actuel, sur la manière dont ils vivent et sur ce qui leur arrive. Mais comme il m’est aussi impossible de ne pas regarder la réalité, je présenterai brièvement certaines contributions parvenues avant le Synode, et d’autres que j’ai pu recueillir au cours du Synode même.

Ce que vivent parfois les jeunes

71. La jeunesse n’est pas une chose qu’on peut analyser de manière abstraite. En réalité, “la jeunesse” n’existe pas ; il y a des jeunes avec leurs vies concrètes. Dans le monde actuel, marqué par les progrès, beaucoup de ces vies sont exposées à la souffrance et à la manipulation.

Des jeunes dans un monde en crise

72. Les Pères synodaux ont souligné avec douleur que « beaucoup de jeunes vivent dans des contextes de guerre et subissent la violence sous une innombrable variété de formes : enlèvements, extorsions, criminalité organisée, traite d’êtres humains, esclavage et exploitation sexuelle, viols de guerre, etc. D’autres jeunes, à cause de leur foi, ont du mal à trouver un emploi dans leur société et subissent différents types de persécutions, pouvant aller jusqu’à la mort. Nombreux sont les jeunes qui, par contrainte ou par manque d’alternatives, vivent en perpétrant des crimes et des violences : enfants soldats, bandes armées et criminelles, trafic de drogue, terrorisme, etc. Cette violence brise beaucoup de jeunes vies. Les abus et les dépendances, tout comme la violence et les déviances, figurent parmi les raisons qui conduisent les jeunes en prison, avec une incidence particulière dans certaines groupes ethniques et sociaux ».

73. De nombreux jeunes sont endoctrinés, instrumentalisés et utilisés comme chair à canon ou comme une force de choc pour détruire, intimider ou ridiculiser les autres. Et le pire, c’est que beaucoup deviennent individualistes, ennemis et méfiants envers tout le monde, si bien qu’ils deviennent la proie facile d’offres déshumanisantes et de plans destructeurs qu’élaborent des groupes politiques ou des pouvoirs économiques.

74. Cependant « encore plus nombreux dans le monde sont les jeunes qui souffrent de formes de marginalisation et d’exclusion sociale, pour des raisons religieuses, ethniques ou économiques. Rappelons la situation difficile d’adolescentes et de jeunes filles qui se trouvent enceintes, la plaie de l’avortement, de même que la diffusion du VIH, les diverses formes de dépendance (drogues, jeux de hasard, pornographie, etc.) et la situation des enfants et des jeunes de la rue, qui n’ont ni maison, ni famille, ni ressources économiques ». Quand, en outre, il s’agit des femmes, ces situations de marginalisation deviennent doublement douloureuses et difficiles.

75. Ne soyons pas une Eglise insensible à ces drames de ses enfants jeunes. Ne nous y habituons jamais, car qui ne sait pas pleurer n’est pas mère. Nous voulons pleurer pour que la société aussi soit davantage mère, pour qu’au lieu de tuer elle apprenne à donner naissance, pour qu’elle soit porteuse de vie. Nous pleurons quand nous nous souvenons des jeunes qui sont déjà morts de la misère et de la violence et nous demandons à la société d’apprendre à être une mère solidaire. Cette souffrance ne s’estompe pas, elle marche avec nous, parce que la réalité ne peut pas être cachée. Le pire que nous puissions faire, c’est d’appliquer la recette de l’esprit du monde qui consiste à anesthésier les jeunes avec d’autres nouvelles, d’autres distractions, d’autres banalités.

76. Peut-être que« nous avons une vie sans trop de besoins, nous ne savons pas pleurer. Certaines réalités de la vie se voient seulement avec des yeux lavés par les larmes. J’invite chacun de vous à se demander : ai-je appris à pleurer ? Ai-je appris à pleurer quand je vois un enfant qui a faim, un enfant drogué dans la rue, un enfant sans maison, un enfant abandonné, un enfant abusé, un enfant utilisé comme esclave par la société ? Ou bien mes pleurs sont-ils les pleurs capricieux de celui qui pleure parce qu’il voudrait avoir quelque chose de plus ? » Essaie d’apprendre à pleurer pour les jeunes qui se trouvent dans une situation pire que la tienne. La miséricorde et la compassion se manifestent aussi par des pleurs. Si tu n’y parviens pas, prie le Seigneur pour qu’il t’accorde de verser des larmes pour la souffrance des autres. Quand tu sauras pleurer, alors tu seras capable de réaliser quelque chose du fond du cœur pour les autres.

77. Parfois, la souffrance de certains jeunes est vraiment déchirante ; c’est une souffrance qu’on ne peut pas exprimer par des paroles ; c’est une souffrance qui nous gifle. Seuls ces jeunes peuvent dire à Dieu qu’ils souffrent beaucoup, qu’il leur coûte trop d’aller de l’avant, qu’ils ne croient plus en personne. Mais dans cette plainte déchirante se font présentes les paroles de Jésus : « Heureux les affligés, car ils seront consolés » (Mt 5, 4). Il y a des jeunes qui ont pu s’ouvrir un chemin dans la vie parce que cette promesse divine leur est parvenue. Puisse-t-il y avoir toujours auprès d’un jeune qui souffre une communauté chrétienne capable de faire résonner ces paroles par des gestes, des accolades et des aides concrètes.

78. Certes, les puissants offrent certaines aides, mais souvent à un coût élevé. Dans de nombreux pays pauvres, les aides économiques de pays plus riches ou d’organismes internationaux peuvent être liées à l’acceptation de propositions occidentales ayant rapport à la sexualité, au mariage, à la vie ou à la justice sociale. Cette colonisation idéologique nuit surtout aux jeunes. En même temps, nous voyons comment une certaine publicité enseigne aux personnes à être toujours insatisfaites, et contribue à la culture du rejet où les jeunes eux-mêmes finissent par devenir du matériel jetable.

79. La culture actuelle présente un modèle de personne très associé à l’image du jeune. Se sent beau celui qui a l’air jeune, qui fait des traitements pour faire disparaître les traces du temps. Les corps jeunes sont constamment utilisés dans la publicité pour vendre. Le modèle de beauté est un modèle jeune, mais faisons attention, car cela n’est pas élogieux pour les jeunes. Cela signifie seulement que les adultes veulent voler la jeunesse pour eux-mêmes ; non pas qu’ils respectent, aiment et prennent soin des jeunes.

80. Certains jeunes « ressentent les traditions familiales comme opprimantes et les fuient sous l’impulsion d’une culture mondialisée qui, parfois, leur ôte tout point de référence. Dans d’autres parties du monde, en revanche, il n’y a pas de véritable conflit intergénérationnel entre jeunes et adultes, mais ceux-ci s’ignorent réciproquement. Parfois les adultes ne cherchent pas ou ne parviennent pas à transmettre les valeurs de base de l’existence ou adoptent des styles juvéniles, inversant ainsi le rapport entre les générations. De la sorte, la relation entre les jeunes et les adultes risque de s’arrêter au plan affectif, sans jamais toucher la dimension éducative et culturelle ». Que de mal cela fait aux jeunes, même si certains ne s’en rendent pas compte ! Ces mêmes jeunes nous ont fait remarquer que cela complique énormément la transmission de la foi  « dans certains pays où il n’y a pas de liberté d’expression et où on les empêche de participer à la vie de l’Eglise ».

Désirs, blessures et recherches

81. Les jeunes reconnaissent que le corps et la sexualité ont une importance essentielle pour leur vie et pour le chemin de croissance de leur identité. Cependant, dans un monde qui souligne à l’exès la sexualité, il est difficile de garder une bonne relation avec son corps et de vivre sereinement les relations affectives. Pour cette raison, et pour d’autres, la morale sexuelle tend très souvent à être « une cause fréquente d’incompréhension et d’éloignement par rapport à l’Eglise, dans la mesure où elle est perçue comme un espace de jugement et de condamnation ». En même temps, les jeunes expriment « un désir explicite de dialogue sur les questions relatives à la différence entre l’identité masculine et féminine, à la réciprocité entre les hommes et les femmes et à l’homosexualité ».

82. A notre époque « les développements de la science et des technologies biomédicales exercent une forte incidence sur la perception du corps, induisant l’idée qu’aucune limite ne peut empêcher de le modifier. La capacité d’intervenir sur l’ADN, la possibilité d’insérer des éléments artificiels dans l’organisme (cyborg) et le développement des neurosciences constituent une grande ressource, mais soulèvent en même temps des questions anthropologiques et éthiques ». Ils peuvent nous conduire à oublier que la vie est un don et que nous sommes des êtres créés et limités, que nous pouvons êtres facilement instrumentalisés par ceux qui ont le pouvoir technologique. « En outre, certains milieux de jeunes sont de plus en plus fascinés par des comportements à risques comme moyens de s’explorer soi-même, de rechercher des émotions fortes et d’être reconnus […] Ces phénomènes, auxquels les nouvelles générations sont exposées, constituent un obstacle à une maturation sereine ». 

83. Chez les jeunes, il y a aussi les chocs, les échecs, les souvenirs tristes gravés dans l’âme. Bien souvent « ce sont les blessures des défaites de leur propre histoire, des désirs frustrés, des discriminations et des injustices subies, ou encore du fait de ne pas se sentir aimés ou reconnus ». En plus, « il y a aussi les blessures morales, le poids des erreurs commises, de la culpabilité après s’être trompé ». A ces carrefours, Jésus se rend présent aux jeunes pour leur offrir son amitié, son réconfort, sa compagnie qui guérit, et l’Eglise veut être son instrument sur ce chemin vers la restauration intérieure et la paix du cœur.

84. Nous reconnaissons, chez certains jeunes, un désir de Dieu, bien qu’il n’ait pas tous les contours du Dieu révélé. Chez d’autres, nous pourrons entrevoir un rêve de fraternité, ce qui n’est pas rien. Chez beaucoup, il y a un désir réel de développer les capacités qui se trouvent en eux pour apporter quelque chose au monde. Chez d’autres, nous observons une sensibilité artistique spéciale, ou une recherche d’harmonie avec la nature. Chez d’autres, ce peut-être un grand besoin de communication. Chez beaucoup d’entre eux, nous trouvons un profond désir d’une vie différente. Il s’agit de vrais points de départ, d’énergies intérieures en attente et ouvertes à une parole de stimulation, de lumière et d’encouragement.

85. Le Synode a traité de manière particulière trois thèmes d’une grande importance dont je voudrais accueillir les conclusions textuellement, même s’il nous faudrait encore procéder à une analyse plus approfondie et développer une capacité de réponse plus adéquate et plus efficace.

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17 octobre 2019, 12:00