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Père Emmanuel Bueya,SJ (jésuite congolais, professeur d'Université) Père Emmanuel Bueya,SJ (jésuite congolais, professeur d'Université) 

Penser une «théologie de la sagesse» africaine

Dans son message adressé aux participants au deuxième Congrès Panafricain sur la Théologie, la société et la vie pastorale, le Pape François a appelé les théologiens africains à élaborer une théologie de la sagesse, inspirée de l’héritage ancestral. Pour le père jésuite Emmanuel Bueya, une telle Théologie africaine peut se baser sur des éléments de la culture africaine comme l’Ubuntu, la Maât, le partage et bien d’autres.

Stanislas Kambashi,SJ et Christine Kinghombe – Cité du Vatican

À l’occasion du deuxième Congrès panafricain sur la théologie, la société et la vie pastorale, organisé à Nairobi, au Kenya, du 18 au 23 juillet, le Pape François avait adressé aux participants un videomessage dans lequel il appelait à penser une «Théologie de la sagesse».

Dans une interview accordée à Vatican News, le père Emmanuel Bueya, jésuite originaire de la RD Congo et professeur des relations internationales à Hekima Peace Studies à Nairobi, estime que la «Théologie de la sagesse» peut être comprise comme «un retour aux traditions qui nous offrent une manière d’être dans le monde». La sagesse, a-t-il expliqué, nait souvent d’une réflexion sur l’expérience. «L’Afrique et son histoire comportent une expérience de bonheur et de malheur, qui ont pu engranger une certaine sagesse qui peut être éclairante pour les populations qui avancent».

Cela étant, la Théologie de la sagesse n’est pas à mettre en opposition avec la «Théologie académique». C’est plutôt «une théologie du peuple», qui cherche à revenir vers la population. Pour le jésuite congolais, une telle théologie «comprend l’expérience quotidienne de la survie et de la foi. La patience dans les épreuves et la confiance en Dieu sont toujours présentes au cœur de l’histoire ; car quel que soit la durée de la nuit, le soleil finira par apparaitre…».

La «Théologie de la sagesse» et ses implications

Cette théologie dite de la sagesse implique que l’africain ou un autochtone ne doit pas être considéré comme «une personne à qui venir aide», car il a en lui un potentiel qui bien souvent est minimisé en rapport «l’autre». La «Théologie de la sagesse» a pour effet, comme dans la démarche du synode, la rencontre et la reconnaissance de l’autre, comme étant un être humain, capable d’initiatives et de réflexion, avec qui on peut construire ensemble une communauté conviviale et heureuse.

Pour l’africain, la théologie de la sagesse implique également le respect de ses traditions et la pratique de ses valeurs éthiques, a indiqué le père Bueya, qui a expliqué qu’il s’agit d’une démarche où l’Ubuntu est considéré comme la racine cardinale; ou comme dans la sagesse de  l’Egypte pharaonique avec la Maât où la justice est harmonieuse. Dans cette dynamique, l’africain sera capable de «sortir des sociétés post-coloniales, déstructurées, avec des économies gangrenées par une injustice et des violences de tout genre… pour entrer dans une dynamique où le royaume de Dieu cesse d’être une utopie, mais devient un projet de vie au quotidien parce qu’en tant que chrétiens, c’est cela notre vocation. », a ajouté le père Bueya.

La valeur de l’être humain, une donnée essentielle de la «Théologie de la sagesse»

Outre l’Ubuntu et la Maât, la théologie de la sagesse peut s’appuyer sur d’autres éléments comme l’humanité, que le philosophe congolais met en contradiction avec l’idéologie capitaliste amenée par le néolibéralisme. Le père Bueya a évoqué le cas de son pays la RD Congo, où les richesses naturelles sont pillées par les multinationales, au détriment de la population et de l’environnement. «Je suis du Congo et quand je regarde comment les multinationales saccagent nos richesses, transforment la population en instrument pour le gain, pour l’appât, c'est là où il faut profiter de cette sagesse pour faire comprendre que le plus important c’est l’être humain», a-il-ajouté.

Reconnaitre en l’autre un frère, un ami, implique des valeurs telles que l’hospitalité, le respect de la différence qui est une richesse pour que dans la complémentarité, l’on soit en mesure de promouvoir l’autre dans toute sa diversité et sa richesse. Le prêtre congolais a aussi souligné l’importance du partage, en indiquant qu’à «l’église on parle souvent de l’agapé; et c’est au sein de cette agapé que cette theologie peut s’épanouir car les hommes vont main dans la main, comme dit le psalmiste».

L’apport de la théologie de la sagesse à la société africaine

Pour le père Bueya, la théologie de la sagesse apportera aux sociétés africaines un changement de paradigme. En effet, l’accent ne sera plus mis sur les institutions mais plutôt, sur la personne spécifique à sauver, dans sa situation concrète. Une deuxième dimension, a-t-il poursuivi, est le changement dans la manière de concevoir le monde. Aujourd’hui, ce n’est plus l’homme qui est au centre comme à l’époque de Protagoras. «Maintenant, on se rend compte qu’on doit quitter l’anthropocentrisme pour entrer dans une dimension de la nature, qui n’est plus considérée comme une chose à conquérir, mais comme une mère qui nous porte, qui nous nourrit. Et c’est de la sagesse africaine, qui est porteuse d’une philosophie de la participation. Je ne suis pas un corps, je suis mon corps; le monde n’est pas un habitat qu’il faut transformer à sa façon, mais plutôt un co-être avec lequel il faut vivre. La théologie de la sagesse est ainsi une théologie africaine en amont de tout autre courant de pensée», a expliqué le père Emmanuel.

Appel à la conscience des jeunes

Le père Bueya a invité les jeunes africains à entrer dans cette dimension où le dialogue devient un facteur important pour le développement des nations. Au-delà de toutes les idéologies, a-t-il fait observer, l’homme africain cherche des bonnes conditions de vie. La meilleure vie n’est seulement ailleurs au point de risquer sa vie dans la traversée du désert ou de la Méditerranée ou encore dans toute sorte de migration. Le jésuite congolais est convaincu qu’avec toutes les richesses qu’ont leurs pays, les africains peuvent s’en sortir mieux qu’ailleurs.

Il a en particulier appelé les jeunes de la RD Congo, d’où il est originaire, à se mettre ensemble, en unissant leurs atouts et expériences, afin de construire un pays prospère et beau.

 

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26 août 2022, 15:33