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Sandrine Ngalula Mubenga ou la femme qui régule l’électricité en RD Congo

L’ingénieure Sandrine Ngalula Mubenga, professeure à l’université de Toledo aux USA, est la Directrice générale de l’Autorité de Régulation du secteur de l’Electricité en République démocratique du Congo.

Jean-Pierre Bodjoko, SJ* - Cité du Vatican

Madame Ngalula Mubenga parle des enjeux et défis de la nouvelle structure censée notamment mettre en place les conditions favorables pour améliorer le secteur de l’électricité en République démocratique du Congo. Entretien.

Vous êtes la nouvelle directrice générale de l’Autorité de Régulation du secteur de l’électricité en République démocratique du Congo (ARE). Quelles sont les missions assignées à cette institution ?

La mise en place des acteurs de l’ARE a eu lieu depuis le 17 juillet 2020 et j’ai été nommée directrice générale à cette occasion. Le rôle de l’ARE est d’assurer la régulation du secteur de l’électricité en République démocratique du Congo, tout en garantissant la transparence et l’équilibre entre les différents acteurs ; d’assurer l’accès équitable des utilisateurs au réseau et protéger les consommateurs. En bref, l’ARE est responsable de toutes les questions liées à la production de l’électricité, au transport, à la distribution, à la commercialisation ainsi qu’à l’importation et à l’exportation de l’électricité en République démocratique du Congo.

Que représente pour vous cette responsabilité, au-delà de l’institution elle-même ?

C’est une immense responsabilité que je porte avec joie et humilité, car c’est un nouvel organe qui n’existait pas. C’est la preuve qu’il y a beaucoup de défis à relever. Et je suis heureuse de me retrouver dans cette position, car ma formation, mon expérience, mes recherches et mon parcours m’ont préparée à ce poste. Quand le président de la République Félix-Antoine Tshisekedi m’a nommée comme directrice générale de l’ARE, il a insisté sur le fait que l’ARE doit être un organe technique et pas politique. J’ai beaucoup apprécié cette vision.

Quel est votre apport dans le secteur de l’électricité depuis que vous avez été nommée directrice générale de l’ARE, quand on sait qu’en République démocratique du Congo, moins de 10% de la population a accès à l’électricité. C’est un grand défi ? 

Depuis ma nomination, j’ai été contrainte de travailler à distance, à cause de la Covid-19. C’est la réalité dans laquelle le monde est plongé. Certaines personnes ont pensé que la présence physique à Kinshasa est nécessaire pour effectuer des réalisations. J’ai voulu démontrer le contraire, car il faut changer cette mentalité. Mais, cela n’est m’a pas empêchée de travailler avec mon équipe sur place. Je vais effectuer des contacts sur le terrain, notamment rencontrer le ministre des finances et le ministre du budget, car il nous faut des frais de fonctionnement pour faire avancer les choses. Comme le président de la République l’avait dit lors du Conseil des ministres, cela est nécessaire pour l’ARE. Mais les choses traînent encore. Je comprends que c’est une nouvelle institution, mais je suis là pour essayer de débloquer la situation et booster les choses. Néanmoins, cela ne m’a pas empêchée de travailler avec l’équipe à Kinshasa et de réaliser plusieurs activités. Nous avons commencé la mise en place de l’ARE et nous continuons à travailler sur ce dossier. Nous avons obtenu une reconnaissance continentale de l’ARE par la Banque africaine de développement, BAD, à travers le classement de la République démocratique du Congo dans l’indice de réglementation de l’électricité. Nous avons aussi obtenu la reconnaissance de l’ARE au niveau du COMESA et d’autres associations régionales. A cet effet, nous avons effectué une mission à Goma pour régler les différends entre les opérateurs et nous avons rencontré 90% des opérateurs qui sont au Congo. Nous sommes dans des pourparlers très avancés notamment avec la Banque mondiale, l’USAID et Power Africa, qui nous ont accordé un an de formation pour deux experts de l’ARE. Nos experts vont apprendre à négocier et à gérer les Power Purchase Agreement (Vente directe d'électricité. NDLR).

Nous sommes aussi en contact avec des investisseurs comme General Electric, qui a un Memorandum of understanding (Mémorandum d’entente. NDLR) de deux milliards Usd que le groupe est en train d’investir au Congo. Nous avons également commencé les pourparlers avec les gouverneurs de province, pour bien comprendre ce qui se passe au niveau des provinces en République démocratique du Congo. Donc, nous avons entamé tous ces contacts avec ceux que nous appelons les différents acteurs (opérateurs, investisseurs, partenaires et gouverneurs de provinces) afin de mieux diriger notre action sur le terrain. Nous avons ainsi atteint l’objectif trimestriel que nous nous étions fixé pour l’ARE.

Quelle est la différence entre les attributions de l’ARE et celles du ministère de tutelle ?

Il y a une très grande différence. C’est vrai qu’il y a beaucoup de gens qui ne comprennent pas très bien le rôle du régulateur. En tant que régulateur, notre rôle est de promouvoir la concurrence et la participation du secteur privé et de contrôler l’application des tarifs autorisés aux usagers. En outre, nous réceptionnons, analysons et développons les avis sur les dossiers de demande de production, transport, distribution, importation , exportation et commercialisation de l’énergie électrique, dans les conditions fixées par la loi. Donc, pour son travail, le régulateur s’appuie toujours sur la loi et l’aspect technique qui sont les deux piliers de la régulation. L’autre aspect important de la régulation se situe au niveau des concessions. Le rôle du régulateur est de veiller au respect, par les opérateurs du secteur, des conditions d’exécution des contrats de concession, des licences et des autorisations. Nous avons 20 missions bien déterminées qui sont écrites dans la loi. C’est très clair. Notre travail consiste à contrôler.

Dans votre pays, la République démocratique du Congo, le secteur de l’électricité est presque monopolisé par la société étatique ?

En effet, le secteur de l’électricité a été monopolisé pendant longtemps par la Société nationale d’électricité (SNEL). Mais, le secteur de l’électricité a été libéralisé. Et ce qui manquait à cette libéralisation du secteur de l’électricité était la mise en place de l’ARE. La SNEL a le monopole, surtout au niveau des grandes villes. Mais, comme vous l’avez dit au début, le taux d’électrification dans le pays n’est que de 10%, ce qui est très bas. Notre rôle est donc de mettre en place les conditions favorables dans le secteur de l’électricité, afin d’augmenter ce taux d’électrification. A part la SNEL, nous avons également rencontré 90% des opérateurs privés notamment SOCODE, Virunga ou encore Energie du Nord-Kivu. Il y a des opérateurs privés qui sont déjà sur terrain, mais il faut améliorer le secteur de l’électricité, afin que l’on puisse avoir plus d’opérateurs. J’en profite aussi pour inviter tout opérateur ou tout investisseur qui voudrait investir dans le domaine de l’électricité en République démocratique du Congo à venir car c’est maintenant le moment. Toutes les conditions, du moins les lois, sont réunies pour favoriser un bon secteur de l’électricité. L’ARE, en tant que régulateur, appuie les initiatives qui permettront d’augmenter le taux d’électrification en République démocratique du Congo.

Avez-vous un planning à ce sujet. Dans combien de temps, par exemple, le taux d’électrification pourrait atteindre 20 ou 30 % ?

Je m’abstiendrais de donner des chiffres pour le moment. Notre but est d’augmenter le taux d’électrification. Certains objectifs ont été donnés par le ministère, notamment d’atteindre 30% de taux d’électrification d’ici 2024. Pour l’instant, nous travaillons dans ce sens au niveau de l’ARE, mais nous ne donnons pas de chiffres.

Vous avez parlé plus haut de reconnaissance internationale. Qu’est-ce que cela veut dire ?

Reconnaissance internationale parce que nous avons déjà commencé à travailler et à collaborer avec des organismes internationaux. Par exemple, quand la Banque africaine de développement nous a approchés pour mettre à jour l’indice de réglementation en électricité, il s’agissait d’un long processus pendant lequel nos équipes ont collaboré avec la BAD. Nous leur avons fourni un rapport de 30 pages sur les données de l’électricité en République démocratique du Congo et sur la réglementation. C’est en fonction de ce rapport qu’ils ont pu classer la République démocratique du Congo dans l’indice de réglementation de l’électricité. Donc, c’est dans ce sens que je parle de reconnaissance continentale. Nous sommes également en pourparlers avec la COMESA et nous sommes également reconnus par la RERA, qui est un groupe de pays africains pour la régulation dans le secteur de l’électricité. Nous avons, d’ailleurs, il y a deux semaines, présenté la vision, les missions, les objectifs et les priorités de l’ARE, en présence des représentants des pays comme la Tanzanie, l’Afrique du Sud, Maurice, l’Angola, le Kenya et l’Eswatini. Beaucoup de pays étaient présents et nous avons représenté la République démocratique du Congo à ce niveau. La reconnaissance internationale signifie que nous avons des échanges assez réguliers avec ces organismes.

Au regard de la situation actuelle dans le secteur de l’électricité en République démocratique du Congo, êtes-vous optimiste pour le futur ?

Oui, je suis optimiste et réaliste. Il y a un énorme potentiel en République démocratique du Congo et nous sommes en train de mettre les choses en place. La mise en place de l’ARE a été très bien accueillie par les partenaires nationaux et internationaux. Donc, on peut sentir cette volonté manifeste d’investir en République démocratique du Congo et de faire bouger les lignes.

L’Autorité de régulation est censée être apolitique. Mais son travail dépend aussi de la volonté politique du gouvernement de la République démocratique du Congo ?

Même si ça dépend d’une volonté politique, le régulateur est en mesure, par exemple, de sanctionner les infractions. Donc, dans ce sens, le régulateur doit être apolitique. D’ailleurs, c’était un des éléments retenus par la BAD pour les régulateurs africains. Il faut absolument que les régulateurs soient apolitiques afin de bien assurer la régularisation. Comme l’ARE est en train de commencer, nous avons cette opportunité d’être apolitique. Je suis une technicienne et nous avons également d’autres techniciens. Nous devons absolument éviter cet aspect politique au sein de l’ARE.

Qui donne les autorisations pour les nouveaux opérateurs dans le secteur de l’électricité, l’ARE ou le ministère de tutelle ?

Un processus a été établi, conformément à la loi et nous allons le diffuser pour le faire connaître au public, car c’est une question qui est récurrente. Les opérateurs doivent utiliser les outils légaux nécessaires que sont les concessions, les licences et les autorisations. Et c’est l’ARE, en tant que régulateur, qui veille au respect de ces conditions d’exécution de ces outils légaux et fait des recommandations au ministère de tutelle. Donc, ça passe d’abord par le régulateur, avant d’arriver au ministère.

Et le ministère ne peut pas donner un avis défavorable ?

Ce que le ministère peut faire constitue une étape différente de celle de l’ARE.

Donc ça devient un peu politique ?

Je ne sais pas si vous qualifiez cela de politique parce que c’est une décision ministérielle. Mais, l’ARE doit être stricte et suivre la loi.

Un mot de la fin ?

Oui. L’ARE sera strict et va appliquer la loi. C’est ce qui fait de nous le régulateur. Nous sommes, avant tout, un organe technique et non un organe politique.

*Twitter : @JPBodjoko E-mail : jeanpierre.bodjoko@spc.va

Mme Sandrine Ngalula Mubenga au micro de Jean-Pierre Bodjoko, SJ

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22 novembre 2020, 14:29