Les évêques de la République démocratique du Congo avec le Nonce apostolique, Mgr Balestrero Les évêques de la République démocratique du Congo avec le Nonce apostolique, Mgr Balestrero 

Les évêques de la RD Congo restent vigilants

A travers le message publié au terme de leur 57ème Assemblée Plénière ordinaire les évêques membres de la Conférence épiscopale nationale du Congo, CENCO, lancent cet appel : « Peuple congolais, ne nous laissons pas voler notre souveraineté ! » ‘Réveillons-nous de notre sommeil pour un engagement citoyen’ (cf. Rm13, 11).

Jean-Pierre Bodjoko, SJ* – Cité du Vatican

Les évêques de la République démocratique du Congo sont constants lorsqu’il s’agit de prendre position devant la situation sociopolitique de leur pays. Sans faire un recul lointain, on remarque en effet que tous les messages des évêques membres de la Conférence épiscopale nationale du Congo, CENCO, ont la même tonalité et vigueur. A l’issue de leur Assemblée plénière ordinaire, la 57ème du genre, tenue du 12 au 15 octobre 2020 à Kinshasa, ils ont publié un message au titre assez significatif,  révélateur et mobilisateur : « Peuple congolais, ne nous laissons pas voler notre souveraineté ! ». Ce message vient après celui publié le 21 juin 2019 à l’issue de leur 56ème Assemblée Plénière ordinaire : « ‘Libérez mon peuple’ (cf. Ex 3, 10). Pas d’entraves au changement. ». A cette occasion, l’archevêque métropolitain de Kinshasa, le Cardinal Fridolin Ambongo, avait, dans un entretien à Radio Vatican, affirmé que le pays n’était pas « suffisamment libéré ». Bien auparavant, les archevêques et évêques membres du Comité Permanent de la Conférence Episcopale Nationale du Congo, qui s’étaient réunis en session ordinaire, du 27 février au 2 mars 2019, à Kinshasa, avaient aussi publié un message intitulé : « La vérité vous rendra libres ». (Jn 8, 32). Ce qui rappelle les propos du Président de la CENCO et archevêque de Kisangani, Mgr Marcel Utembi Tapa, commentant ce message : « La Vérité sera toujours la vérité ». 

Même constat, même logique

Ainsi donc, dans leur dernier message daté du 15 octobre 2020 et rendu public le lundi 19 octobre 2020, les évêques membres de la Conférence épiscopale nationale du Congo, font remarquer le blocage du fonctionnement des Institutions étatiques de leur pays, avant d’en décrire les conséquences : au plan socio-économique, au plan sécuritaire et humanitaire, tout comme au plan de droits humains. 

 

Souhaits des évêques

Les conséquences, pour les Pères de l’Eglise de la RD Congo, sont négatives et alarmantes. Ce qui les poussent à exhorter le peuple congolais à sortir de sa torpeur et à demeurer vigilant, notamment sur le respect des articles verrouillés de la Constitution ; d’exercer effectivement son droit de souverain primaire et d’agir pour empêcher toute tentative de confisquer son droit de choisir ses dirigeants et de se prononcer sur le destin de son pays ; de continuer à être créatif, ardent au travail et solidaire, pour faire face aux conséquences économiques vécues au quotidien ; de résister pacifiquement à la balkanisation de son pays, au dépeuplement et à l’occupation des terres par la cohésion nationale et le refus de la trahison, en privilégiant le sursaut du patriotisme aux côtés des Forces armées et de sécurité.

Les prélats congolais exigent au gouvernement de leur pays de faire une demande formelle d’institution d’un Tribunal pénal spécial pour la RD Congo afin d’engager des poursuites contre les présumés responsables, internes et externes, des milliers de morts et des victimes de violation massive des droits humains évoquée dans le rapport Mapping de 2010.

Les évêques membres de la CENCO ne manquent pas aussi de demander à l’Etat « de manifester davantage son autorité et d’exercer son pouvoir régalien, de combattre particulièrement la corruption, l’impunité, de mettre hors d’état de nuire les complices de l’insécurité et d’affirmer sa souveraineté vis-à-vis des Etats tiers ».

Solidarité à leurs deux frères dans l’épiscopat

Devant les menaces des deux de leurs membres qui œuvres à l’est du pays, Mgr Dieudonné Uringi, évêque de Bunia et Mgr Sébastien Muyengo, évêque d’Uvira, qui, par leur prise de position sont menacés et intimidés, les évêques congolais leur manifestent leur affection, tout en dénonçant et condamnant avec vigueur les menaces de mort proférées contre eux.

« Peuple congolais, l’heure de nous mettre debout et de marcher dans la lumière a sonné. Réveillons-nous de notre sommeil pour un engagement citoyen (cf. Rm13,11) », c’est en ces termes que les évêques de la République démocratique du Congo concluent leur message.

*Twitter : @JPBodjoko E-mail : jeanpierre.bodjoko@spc.va

Intégralité du message de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO) :

Peuple congolais, ne nous laissons pas voler notre souveraineté !

Réveillons-nous de notre sommeil pour un engagement citoyen (cf. Rm13, 11)

Message de la 57ème Assemblée Plénière des Evêques Membres de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO)

1. Nous, Cardinal, Archevêques et Evêques, membres de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO), réunis en Assemblée Plénière à Kinshasa, du 12 au 15 octobre 2020, mus par notre sollicitude pastorale, nous sommes penchés, entre autres, sur la situation alarmante que traverse la RD Congo, notre terre de prédilection.

2. Avant toute chose, nous rendons grâce à Dieu qui a épargné notre pays de la catastrophe redoutée, suite à la pandémie de la COVID-19 et nous implorons sa miséricorde pour ceux qui nous ont quittés. Nous remercions nos fidèles catholiques et les hommes de bonne volonté de leurs prières et de leur soutien aux œuvres de l’Eglise et aux personnes en détresse, au moment fort de cette crise sanitaire. Cet élan de solidarité, prouve à suffisance que le Peuple congolais est capable de s’entraider et de se prendre en charge dans les situations difficiles. Toutefois, ne baissons pas la garde et continuons à respecter scrupuleusement les gestes barrières contre la pandémie.

I. BLOCAGE

3. Nous attirons l’attention de notre peuple sur le blocage du fonctionnement des Institutions étatiques. Malgré nos différents appels aux alliés de la coalition au pouvoir de cesser leurs querelles intestines et de se consacrer à travailler plutôt pour l’intérêt de la population[1], nous sommes profondément peinés de constater que les Acteurs politiques accusent une indifférence révoltante pendant que le pays est au bord de la faillite. Il se trouve dans l’impasse à cause de la crise politique croissante et de ses conséquences. La paralysie de la coalition affecte et infecte tous les secteurs de la vie nationale.

4. Au moment où les Congolais et les Congolaises croupissent dans une misère indescriptible aggravée par la COVID-19, les alliés au pouvoir consacrent leurs énergies aux calculs de positionnement par rapport aux élections de 2023 en vue de conserver ou de reconquérir le pouvoir.

5. L’obsession du pouvoir pour le pouvoir porte à confisquer la souveraineté du Peuple congolais. Autrement, comment expliquer tant de manigances pour le contrôle de la CENI et l’absence du consensus autour des réformes électorales qui présagent un glissement de plus ? A cela s’ajoutent les fléaux du tribalisme et les conflits communautaires, souvent fomentés et exacerbés par les mêmes Acteurs politiques, qui sacrifient les compétences et la méritocratie dans la gestion de la chose publique au profit des intérêts partisans.

6. Pire encore, le pays se retrouve dans une situation où la plus haute instance du pouvoir judiciaire, à savoir la Cour constitutionnelle, est mise dans l’impossibilité d’exercer sa mission. Faute de quorum, tout le système est bloqué.

II. CONSEQUENCES

Au plan socio-économique

7. En vue de relancer la croissance économique, un certain nombre de mesures ont été prises, notamment la mise en application du Code minier, les mécanismes de lutte contre la corruption et l’investissement pour l’autosuffisance alimentaire. Cependant, l’économie du pays connaît une forte régression avec une diminution drastique du pouvoir d’achat de la population, et partant, un accroissement de la pauvreté et du chômage. Le secteur minier sur lequel le pays pouvait compter est, comme beaucoup d’autres, gangréné par la corruption et bénéficie plus à quelques individus, aux multinationales et aux « groupes criminels militarisés » qu’à la population.

8. Par ailleurs, cette situation entraîne la baisse inquiétante de la réserve de changes et un blocage économique. Elle est d’autant plus préoccupante que notre pays reste encore tributaire de l’appui et de l’encadrement international spécial pour sa survie et son fonctionnement.

9. Compte tenu du blocage politique et économique que connaît notre pays, les efforts entrepris tels que la gratuité de l’enseignement de base, et le début de la régularisation de la paie des enseignants, risquent d’être anéantis.

Au plan sécuritaire et humanitaire

10. La situation sécuritaire demeure délétère spécialement dans la partie orientale du pays, notamment dans les Provinces de l’Ituri, du Nord et du Sud Kivu ainsi que de Tanganyika. Nous y remarquons la stratégie de dépeuplement par des massacres des populations locales, d’occupation des terres et de contrôle de ressources naturelles. Les massacres perpétrés dans les Territoires de Béni et de Djugu, tout comme les conflits communautaires dans la zone de Minembwe, illustrent à suffisance cette situation. Aussi les conflits communautaires récurrents démontrent-ils la faiblesse de l’Etat congolais qui semble inexistant dans les lieux où prolifèrent les milices et groupes armés de tout genre avec leur cortège de misère.

11. Dans plusieurs autres Provinces, tant de faits nous tourmentent par leur gravité et leur répétition : les enlèvements avec demande de rançon, les vols à mains armées, les viols, les assassinats, etc. A cela s’ajoutent les conflits frontaliers avec la quasi-totalité des pays voisins dont les forces armées régulières font des incursions sur le territoire de la RD Congo et occupent des villages et cités de notre pays.

Au plan de droits humains

12. Alors que les élections de 2018, placées sous le signe de changement, ont malgré tout nourri l’espoir de l’avènement d’un Etat de droit, il s’observe malheureusement, une restriction des droits humains. En effet, l’élan des libertés d’expression et de manifestation publique, salué avec enthousiasme par notre population, évolue en dents de scie. Ici et là, certains partis politiques se substituent aux services étatiques et portent atteinte non seulement à l’ordre public, mais aussi à la dignité humaine et au respect des droits humains.

Le procès dit de « cent jours » et les enquêtes judiciaires en cours suscitent beaucoup d’espoir en une Justice qui ferait effectivement grandir la Nation. Tout reste à savoir si cette dynamique ira jusqu’au bout.

III. EXHORTATIONS

13. Peuple congolais, ne nous laissons pas voler notre souveraineté ! Notre situation changera à partir du jour où ceux qui sont au pouvoir comprendront que pour y demeurer ou y accéder, ils doivent servir nos intérêts. C’est pourquoi, pour ne pas nous laisser voler notre souveraineté :

  1° Sortons de notre torpeur et demeurons vigilants sur le respect de la Constitution, notamment les articles verrouillés, ainsi que sur l’indépendance réelle du Bureau de la CENI et de la Magistrature.

  2° Exerçons effectivement notre droit de souverain primaire et agissons pour empêcher toute tentative de confisquer notre droit de choisir nos dirigeants et de nous prononcer sur le destin de notre pays.

  3° Continuons à être créatifs, ardents au travail et solidaires, pour faire face aux conséquences économiques vécues au quotidien.

  4° Résistons pacifiquement à la balkanisation de notre pays, au dépeuplement et à l’occupation des terres par la cohésion nationale et le refus de la trahison, en privilégiant le sursaut du patriotisme aux côtés de nos Forces armées et de sécurité. La RD Congo est notre terre, « don béni», notre patrimoine inaliénable, et nous ne devons pas nous le laisser ravir.

  5° Exigeons de notre Gouvernement de faire une demande formelle d’institution d’un Tribunal pénal spécial pour la RD Congo afin d’engager des poursuites contre les présumés responsables, internes et externes, des milliers de morts et des victimes de violation massive des droits humains évoquée dans le rapport Mapping de 2010.

14. Nous demandons à notre Etat de manifester davantage son autorité et d’exercer son pouvoir régalien, de combattre particulièrement la corruption, l’impunité, de mettre hors d’état de nuire les complices de l’insécurité et d’affirmer sa souveraineté vis-à-vis des Etats tiers.

16. Forts de notre collégialité affective et effective, nous dénonçons et condamnons vigoureusement les menaces de mort proférées contre nos frères dans l’Episcopat, Nosseigneurs Dieudonné URINGI, Evêque de Bunia et Sébastien MUYENGO, Evêque d’Uvira. Conscients de leur mission prophétique, ils n’ont fait qu’exercer leur ministère de Pasteurs soucieux du bien-être et de la cohabitation pacifique des peuples confiés à leur sollicitude pastorale.

17. Nous exhortons les Acteurs politiques à se mettre sincèrement au service du bien commun. En tant que serviteurs du peuple, qu’ils se préoccupent de son bien-être et qu’ils soient prêts à lui rendre compte. Comme l’indique le Pape François, ils devraient se poser la question, non de savoir : « combien de personnes m’ont approuvé ? Combien de personnes ont voté pour moi ? Combien de personnes ont eu une image positive de moi ? » ; mais plutôt : « Quel amour ai-je mis dans le travail ? En quoi ai-je fait progresser le peuple ? Quelle marque ai-je laissée dans la société, quels liens réels ai-je construits, quelles forces positives ai-je libérées, quelle paix sociale ai-je semée, qu’ai-je réalisé au poste qui m’a été confié ? »[2].

CONCLUSION

18. Peuple congolais, l’heure de nous mettre debout et de marcher dans la lumière a sonné. Réveillons-nous de notre sommeil pour un engagement citoyen (cf. Rm13,11). Tenons fort et restons fidèles aux idéaux tracés par nos pères de l’indépendance, pour léguer ainsi aux générations à venir non plus un Congo de pleurs et de larmes, de divisions et de guerres, mais un pays prospère, un Congo de paix, de réconciliation, de fraternité. Il y va de la responsabilité de chacun[3].

19. Cependant, nous ne pourrons espérer réaliser notre rêve sans le Seigneur (cf. Ps 126,1). Restons fermes dans la confiance en Lui le Tout Puissant et demeurons vigilants dans la prière.

20. Que par l’intercession de la Vierge Marie, Notre Dame du Congo, le Seigneur bénisse notre pays.

Kinshasa, le 15 octobre 2020.

Les archevêques et évêques de la CENCO

[1]CENCO, Coalition pour quel but ? « On reconnaît l’arbre à ses fruits » (Mt 7,16). Message du Comité Permanent de la CENCO aux Fidèles Catholiques et aux Hommes de bonne volonté (28 février 2020) et Qui sème le vent récolte la tempête (cf. Osée 8,7). Déclaration du Comité Permanent de la CENCO sur la situation tendue relative aux propositions des lois sur la réforme judiciaire et à la désignation des membres du bureau de la CENI (27 juin 2020).

[2] Pape François, Encyclique Fratelli tutti (3 octobre 2020), n. 197.

[3] CENCO, Il est temps de nous réveiller (Rm 13, 11b) (10 juillet 2008), n. 14.

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19 octobre 2020, 20:15