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Cardinal Michael Czerny Cardinal Michael Czerny 

Cardinal Czerny : Ma famille pendant la deuxième guerre mondiale

En exclusivité pour Vatican News le cardinal Michael Czerny, SJ, sous-secrétaire de la section des migrants et des réfugiés du Dicastère pour la promotion du développement humain intégral, raconte l'expérience de sa famille pendant la seconde guerre mondiale.

Vatican News – Cité du Vatican

Dans un entretien avec Johanna Bronkova de Vatican News, le cardinal Michael Czerny parle des expériences dramatiques de sa famille en (alors) Tchécoslovaquie : leur origine juive, leur foi, l'internement de sa mère dans un camp de concentration nazi, la guerre et leur fuite au Canada. Parmi ses souvenirs, le cardinal Czerny se rappelle la peinture de sa grand-mère, sur verre, de la " Fuite en Égypte " - une image qui a été reproduite pour les cartes commémoratives distribuées le jour de sa création comme cardinal.
Créé cardinal le samedi 5 octobre 2019 lors d’un consistoire public ordinaire, en la basilique Saint-Pierre au Vatican, le cardinal Czerny prendra officiellement possession de son église titulaire Saint-Michel Archange à Pietralata, le dimanche 19 janvier 2020 à 11h30.

Texte intégral de l’interview avec le Cardinal Michael Czerny, SJ:

Mes parents parlaient rarement de ce qu’ils avaient vécu pendant la guerre, pour plusieurs raisons : leurs souvenirs étaient douloureux; ils voulaient éviter toute fausse interprétation de l’histoire familiale; et ils préféraient se concentrer sur la nouvelle vie dont ils jouissaient au Canada.

Cependant, pour cette entrevue, je suis heureux de communiquer certains détails qui ont un intérêt dans mon pays natal, au sujet de la Tchécoslovaquie de l’époque, que ma famille a quittée pour immigrer au Canada en 1948, et au sujet de ma grand-mère qui a peint la « Fuite en Égypte » une image associée à mon élévation au cardinalat.

Qu’ont vécu vos parents, comment ont-ils participé à la Deuxième Guerre mondiale?

Mes parents vivaient en Moravie. Ma mère, Winifred Hayek Czerny, a connu la prison et le camp de concentration où elle a été incarcérée au total vingt mois pendant la Guerre. Elle a été forcée de travailler également sur une ferme. Elle était née de parents catholiques, mais ses grands-parents étaient juifs et elle a été classifiée comme juive par les autorités nazies qui ont dirigé le prétendu Protectorat de Bohême et de Moravie à partir de mars 1939.

Mon père, Egon Czerny, était catholique lui aussi. Comme il n’avait pas de sang juif, il n’a pas été interné dans un camp de concentration; il a été envoyé dans un camp de travail forcé à Postoloprty pendant les huit derniers mois de la guerre, parce qu’il refusait de divorcer d’avec ma mère pendant l’internement de cette dernière à Terezín.

Pourquoi votre mère a-t-elle été emprisonnée en plus d’être internée dans un camp de concentration?

Les autorités nazies exigeaient que toutes les personnes classifiées comme juives leur remettent leurs objets précieux. On a découvert que ma mère avait conservé certains bijoux de famille. On lui a fait un procès et elle a été condamnée à une année de détention dans une prison pour femmes à Leipzig.

Comment votre mère vivait-elle sa situation de survivante de l’Holocauste?

Ma mère ne se considérait pas comme une survivante de l’Holocauste, puisque l’Holocauste concernait les Juifs et qu’elle s’identifiait comme catholique. Elle considérait qu’elle avait eu la chance de survivre à la folie meurtrière d’un régime qui n’avait aucun motif légitime de persécuter et d’exécuter des gens en raison de leurs origines.

Ma mère est retournée à Terezín en avril 1995, et dans le livre d’or de son musée elle a écrit « J’ai survécu ». Elle a survécu en effet à une infamie monstrueuse qui a réduit des êtres humains, des personnes uniques, à l’anonymat d’un numéro d’identité, avant de les réduire en cendres et en poussière par le gaz et par le feu. Ma mère a renversé cette infamie par son œuvre artistique. Avec de la « poussière » ou de l’argile, elle a sculpté des représentations de nombreuses personnes vivantes, des bustes qui dureront bien au-delà d’une période de vie normale, puisque, ironiquement, ils ont été brûlés dans un four. Notre famille a fait don de ces bustes, y compris une représentation de moi, au musée de Terezín (voir Terezínské listy 34/2006, p. 2-3).

Vous avez produit une copie de la peinture « La fuite en Égypte » de votre grand-mère, Anna Hayek. Pouvez-vous nous parler d’elle?

Tant dans son rôle d’épouse que de mère de trois enfants, Anna Löw Hayek était une sportive et une artiste amateure douée. Il nous reste de sa production artistique deux douzaines d’aquarelles et des pages de croquis au crayon, en plus de la peinture sur verre de style populaire « La fuite en Égypte » qui a été reproduite sur ma fiche.

Elle est née en 1893. Son mari Hans et elle étaient catholiques de naissance mais ont été classifiés comme Juifs, puisqu’ils avaient des ancêtres juifs. Elle a été transférée, avec son mari et ses deux fils, Karl Robert et Georg, au camp de Terezín en 1942 ou 1943. Elle est morte à Auschwitz quelques semaines après la fin de la guerre, alors que les trois autres avaient déjà péri.

Pouvez-vous nous parler de la venue de la famille au Canada?

Je suis né à Brno en juillet 1946, et mon frère Robert en mai 1948. Notre famille a fui la Tchécoslovaquie cette année-là. La première difficulté à surmonter, dans la longue série d’épreuves à traverser, a été de sortir du pays et de trouver une destination. Nos parents ont fait de nombreuses recherches. Ils ont appris que le Canada nous accueillerait si nous pouvions trouver quelqu’un pour nous parrainer. Un parent s’est porté volontaire au début, mais a retiré son offre ensuite. Puis un homme d’affaires a dit oui, il a indiqué qu’il pouvait embaucher mon père, mais il a changé d’avis quand sa manufacture a brûlé.

Enfin, alors que notre famille faisait face à un danger croissant, un collègue d’école de mes parents nous a parrainés. Il avait immigré au Canada avec sa femme et son jeune fils quelques années auparavant. En nous parrainant, il s’exposait à devoir nous soutenir pendant un an si mon père ne trouvait pas de travail. Mais cette famille nous a tout de même aidés à venir au Canada, elle nous a accueillis à Montréal et nous a guidés à travers le processus très déconcertant de nous débrouiller dans une nouvelle ville avant d’en connaître la langue, de savoir comment nous comporter avant d’avoir saisi une culture différente, de gagner notre vie, enfin de traverser les barrières ethniques et de nous faire des amis… tout en continuant de vivre dans les langues et les cultures que nous apportions avec nous.

Au Canada, notre famille a vécu dans un quartier francophone pendant deux ans puis elle s’est installée ailleurs à Montréal avant d’établir sa résidence dans la banlieue anglophone de Pointe-Claire (appelée Lakeside à l’époque) en 1953. J’ai donc, en plus du tchèque, appris à parler deux nouvelles langues, le français et l’anglais. L’anglais est devenu ma langue première.

Avez-vous eu des rapports avec la Tchécoslovaquie ou la République tchèque par la suite?

Je suis retourné en Tchécoslovaquie de la mi-octobre 1987 à la mi-janvier 1988.
Je voulais explorer mon pays natal et voir de mes propres yeux la vie sous le régime communiste. À Brno j’ai rencontré plusieurs fois le provincial des Jésuites, le p. Jan Pavlik, qui vivait dans la maison de sa mère où il avait son « bureau ». À Prague j’ai souvent rendu visite au p. Karel Dománek, qui vivait très discrètement dans l’édifice où il avait travaillé comme concierge pendant de nombreuses années. Je suis également allé voir le p. František Lízna à Velké Opatovice et nous avons concélébré l’eucharistie sur le petit autel dressé dans la maison de sa mère.

Je suis retourné en Tchécoslovaquie pendant quelques semaines en avril 1989, et j’ai rencontré à cette occasion le p. Pavlik et le provincial slovaque, le p. Andrej Osvald, à Važec, où il était curé et exerçait son ministère auprès des Roms.

À travers toutes ces rencontres, j’ai été impressionné par le courage et la foi de ces personnes qui maintenaient la flamme de la foi chrétienne et ont gardé ouvert le sanctuaire de la vie de l’Église sous le régime communiste.

Personne ne pouvait deviner l’énorme changement qui allait survenir dans les mois qui ont suivi! Depuis cette époque, je me suis rendu en République tchèque et en Slovaquie pour des rencontres à l’Apostolat social jésuite de l’Europe centrale/de l’Est, une de ces rencontres a eu lieu à la résidence jésuite du Kostel svatého Ignáce à Prague en janvier 1996 et une autre au Exercičný dom sv. Ignáca à Prešov en novembre 1998.

Pouvez-vous expliquer vos armoiries comme cardinal?

Depuis janvier 2017, je suis l’un des deux sous-secrétaires de la Section des migrants et des réfugiés du Vatican. Mes armoiries reflètent à la fois ce ministère et ma propre expérience de vie en montrant un navire qui transporte une famille de quatre personnes – les réfugiés et d’autres personnes « en déplacement » voyagent souvent par bateau. De fait, notre famille de quatre personnes a fait le voyage vers le Canada par bateau en 1948, et l’eau sous le navire me rappelle donc l’Océan Atlantique. Le navire est également une image traditionnelle de l’Église comme la Barque de Pierre, à qui Notre Seigneur a confié le mandat d’« accueillir l’étranger » (Matthieu 25,35), où que se trouve l’Église. En outre, tout comme le symbole du mouvement de l’Arche, le navire nous rappelle les œuvres de miséricorde envers les exclus, les laissés pour compte et les défavorisés. Le rayon de soleil doré au-dessus du navire est le sceau de la Compagnie de Jésus, les Jésuites. Et la toile de fond verte rappelle l’encyclique du pape François, Laudato si’ qui nous invite tous assurer la sauvegarde de la Création, notre maison commune.

Et votre devise?

Ma devise est « Suscipe », le premier mot et le titre de la prière que saint Ignace place dans la dernière contemplation des Exercices spirituels, Pour parvenir à l’amour. Donc, par ce mot, « Suscipe », je veux évoquer la prière entière du don de soi total à Dieu comme spiritualité de cardinalat. Dans sa lettre aux nouveaux cardinaux, en octobre 2019, le pape expliquait ce que cela signifie réellement : « L’Église vous appelle à assumer une nouvelle forme de service … à consentir à un plus grand sacrifice de soi-même et à donner un témoignage de vie constant ». Et les robes écarlates représentent le sang versé – usque ad effusionem sanguinis – dans une loyauté et une fidélité totale envers le Christ.

Votre croix pectorale est en bois. Pouvez-vous nous en parler ?

Ma croix pectorale a été réalisée par l’artiste italien Domenico Pellegrino. Il a pris le bois dans les débris d’un bateau utilisé par des migrants pour traverser la Méditerranée à partir du Nord de l’Afrique, et se rendre sur l’ile italienne de Lampedusa.

Ce matériau évoque le bois de la croix sur laquelle a été crucifié Jésus, le Fils de Dieu, « pour enlever les péchés du monde ». Le clou original nous rappelle clairement que Jésus a été cloué à la croix; les armoiries des Jésuites comprennent les trois clous traditionnels. Le bois ordinaire correspond au vœu de pauvreté jésuite et au désir de voir une Église humble et engagée. L’origine du bois reflète la fuite de ma famille vers un pays sûr quand j’étais très jeune et mes responsabilités actuelles à la Section des migrants et des réfugiés.

Les fissures dans la peinture rouge et le bois rappellent les blessures, les souffrances, le sang versé lors de la Crucifixion et les situations où le monde oublie la compassion et la justice, alors que la couleur plus pâle de la partie supérieure symbolise la Résurrection de notre Seigneur et Sauveur et la plénitude de la vie qu’Il est venu nous apporter.

Enfin, pouvez-vous nous redire la citation lue à votre ordination et qui se trouve sur votre fiche de cardinal?

Avec Plaisir. Cette citation est tirée des Dialogues des Carmélites de George Bernanos : «Une seule chose importe, c’est que, braves ou lâches, nous nous trouvions toujours là où Dieu nous veut, nous fiant à Lui pour le reste».

 

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15 janvier 2020, 18:24