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Mgr Marcel Utembi Tapa, archevêque de Kisangani/RDC (Photo: JP Bodjoko, SJ/Vaticannews) Mgr Marcel Utembi Tapa, archevêque de Kisangani/RDC (Photo: JP Bodjoko, SJ/Vaticannews) 

RD Congo: « On ne peut démentir que ce qui n’est pas vrai », disent les évêques

Les élections générales qui ont eu lieu en République démocratique du Congo le 30 décembre 2018, dont on attend toujours les résultats (repoussés aussi comme les élections), plongent le pays dans un climat morose où l’Eglise ne peut se taire. Quitte à attirer la colère des tenants du pouvoir et affiliés.

Jean-Pierre Bodjoko, SJ – Cité du Vatican

« On ne peut démentir que ce qui n’est pas vrai. La vérité est là », a déclaré Mgr Marcel Utembi Tapa, archevêque de Kisangani, président de la Conférence épiscopale nationale du Congo, CENCO, en réaction à la demande du Président de la Commission électorale nationale indépendante, CENI, M. Corneille Nangaa, qui a écrit aux évêques, leur demandant notamment de faire un démenti formel pour « avoir donné les tendances et les résultats provisoires avant la publication par la Commission électorale nationale indépendante ».

La Conférence épiscopale nationale du Congo, par le truchement de sa Mission d’Observation Electorale, a présenté son rapport préliminaire le 3 janvier 2018. Dans ce rapport, les évêques congolais ont de prime abord affirmé que le but de leur Mission d’observation était de « promouvoir un processus électoral transparent et crédible, d’accroître la légitimité des institutions étatiques et de contribuer ainsi à la préservation de la paix et de la stabilité en République Démocratique du Congo ».

C’est donc seulement dans ce contexte que le porte-parole des évêques congolais, l’Abbé Donatien Nshole, qui est aussi le Secrétaire général de la CENCO, a présenté le rapport de la Mission d’Observation électorale. Ses propos engagent donc la CENCO. Il sied de reconnaitre que le rapport présenté par l’Abbé Nshole a salué « le travail abattu par la Commission Electorale Nationale Indépendante ainsi que l’engagement de toutes les autres parties prenantes au processus électoral pour la tenue des scrutins combinés du 30 décembre 2018 ». Et pour être complet, le rapport a fait aussi quelques recommandations. Il ne s’agissait donc pas d’un réquisitoire contre la CENI ou l’usurpation de ses prérogatives.

Faut-il se taire ?

A voir et à analyser la réaction de la Commission électorale nationale indépendante et du Front Commun pour le Congo, FCC, (rassemblement des partis et personnalités pro-Kabila), il y a plusieurs questions qui peuvent être soulevées. L’une d’elles est celle de savoir le pourquoi de ces très virulentes et simultanées réactions de la CENI et du Front Commun pour le Congo. Ce dernier utilise même des termes désobligeants, en qualifiant l’attitude de la CENCO de « partisane, irresponsable, et anarchique ». La réaction de Mgr Utembi est nette : « propos discourtois, excessifs », « dégradants ». Pour lui, « la CENCO, sans se substituer à la CENI, n’a fourni que des informations impersonnelles et générales qui n’ont rien à voir avec une déclaration des tendances particulières. En somme, le porte-parole des évêques, l’Abbé Nshole, n’a en rien donné les tendances qui pourraient pousser à annoncer la victoire d’un des candidats présidents. Aucune analyse épistémologique du rapport de la Mission d’Observation Electorale de la CENCO ne permet d’aboutir à cette conclusion. Sinon, on extrapolerait aussi la même conclusion du discours du Chef de la Mission d’observation électorale de l’Union africaine, l’ancien président malien par intérim, Dioncounda Traoré, qui a, à plusieurs reprises, déclaré que sa Mission souhaitait fortement que « les résultats qui seront proclamés soient conformes au vote du peuple congolais ». Dans sa réponse au président de la CENI, le président de la CENCO est plus que clair : « Ce sont les irrégularités qui irriteraient la population et la plus grave qui pourrait porter le Peuple congolais au soulèvement serait de publier les résultats, quoique provisoires, qui ne soient pas conformes à la vérité des urnes. De ce fait, s’il y a soulèvement de la population, il relèverait de la responsabilité de la CENI ». Voilà qui est clair.

Il sied de soulever le fait que le président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, a abondé dans le même sens que la Mission d’Observation Electorale, en estimant ‘crucial’ que « les résultats de l’élection présidentielle du 30 décembre en République démocratique du Congo soient respectés par les autorités ». Un analyste avisé pourrait bien peser le sens de chaque mot de M. Faki Mahamat : « Respectés par les autorités » est bien différent de « respectés par l’opposition ».  Donc, la conclusion est plus qu'évidente dans une logique ordinaire.

Se taire devant le mal c’est être complice

Il y a apparemment un groupe de gens qui n’aident pas Joseph Kabila à quitter le pouvoir en silence. Ce groupe de personnes qui prennent la République Démocratique du Congo et le peuple congolais en otage pousse Kabila à la faute quand il s’en prend à l’Eglise. L’Eglise ne peut pas se taire devant des combines et des tricheries, devant le mal, qu’importe d’où il vient.

La Constitution du pays à laquelle se réfèrent souvent les tenants du pouvoir actuel, n’est pas un bien privé dont ils se servent pour leurs intérêts, estiment les prélats congolais. Quelques exemples parmi tant d’autres : Cette même Constitution reconnait aussi aux citoyens congolais à être informés en toute liberté et de s’exprimer librement. Et le pouvoir en place bafoue ce droit en suspendant les médias qui ne chantent pas leur louange, en retirant les accréditations aux journalistes étrangers, en brouillant les fréquences de certaines stations radio, en bloquant l’internet pour couper le peuple congolais du reste du monde et l'empêcher même d’échanger les vœux de fêtes de fin d’année. Simplement inhumain. La Constitution de la République démocratique du Congo donne droit à tout congolais de voter. Et l’organe organisateur a privé encore une fois les congolais de l’étranger de voter cette fois-ci. La CENI devrait faire un examen de conscience pour sa responsabilité dans la situation actuelle du pays. Elle se dit indépendante mais elle n’a pas réussi à organiser les élections à temps. Elle dit une chose le matin et se contredit le soir. Les images et les journaux sont là pour le témoigner. Pour se faire bonne conscience, on cherche un « bouc émissaire », estime Mgr Utembi.

La conscience de certains acteurs politiciens ou politiques ne devait pas être tranquille quand on imagine le nombre de vies fauchées par le retard dans l’organisation de ces élections ou leur désorganisation. Chacun en répondra d’une manière ou d’une autre. Pour sa part, « La CENCO est simplement au service de la vérité », estime l’archevêque de Kisangani.

Cette CENCO que l’on présente comme « toute puissante » est tout simplement « toute sérieuse ». N’en déplaise à ses détracteurs, ceux-là mêmes, quand ils seront de l’autre côté, feront recours à cette même CENCO.

Le souci des évêques congolais c’est le bien-être du peuple

Les évêques congolais, ne sont pas seulement des pasteurs, ils sont aussi congolais, avec tous les droits.  On ne peut donc pas les empêcher de parler. Cela fait toujours mal mais si on ne veut pas que les évêques parlent, les politiciens devraient se comporter de telle manière que les évêques n’aient rien à leur dire. Et quand on gère le pays, on ne doit pas confondre la chose publique avec ses biens privés où personne ne peut vous demander de compte.

Un professeur historien de son état, membre du Front Commun pour le Congo, dont le bénévolat est à prouver, a déclaré dans une chaîne de télévision émettant de Paris en France, que l’Eglise catholique de la République démocratique du Congo, par ses évêques se mêle de la politique. Il n’a pas trouvé mieux que de se réfugier, encore une fois, dans l’argumentaire de la Constitution (de 1960, dont l’article n’a pas changé (dans la nouvelle Constitution ?) stipulant que la République démocratique du Congo est un Etat indépendant, démocratique et laïc. Le professeur n’explique pas cependant ce qu’il comprend par « laïc ». Oublie-t-il sans doute que le droit est pour tous, que ce soit dans un Etat laïc ou pas. Ce n’est pas puisque l’on est membre de la plateforme politique du pouvoir en place que l’on peut chercher à priver de parole les évêques, de surcroît fils du pays. Quand l’intelligence se met au service du pouvoir, il en résulte parfois des affabulations moins scientifiques. Là où le professeur se perd dans l’affirmation gratuite, c’est en soutenant que « l’Eglise catholique a été le bras spirituel de la colonisation ». Affirmation gratuite, sans grandeur. Une non-vérité et une idéologie dépassée qui met en doute tous les biens faits par les missionnaires honnêtes qui ont sacrifié leurs vies pour éduquer, soigner, évangéliser.

Les évêques congolais n’ont jamais eu et n’ont pas l’intention de faire de leur pays une République catholique. Mais leur souhait est qu’une république qui se veut démocratique le soit vraiment dans la pratique, en respectant les règles du jeu de manière honnête, sans fourberie. L’Eglise-Famille de Dieu qui est en République démocratique du Congo n’est donc pas sortie de ses limites ou de son champ d’action.

« La CENCO est présente dans le processus de la démocratisation du pays. Sa participation aux élections avec les observateurs formés relève de sa tâche pour accompagner le pays vers l’avènement de sa pleine réalisation de l’idéal démocratique », affirme Mgr Utembi.

Que l’on ne se leurre pas, toute chose a sa fin, sauf Dieu, sauf l’Eglise de Jésus-Christ. Et la CENCO en fait partie. L’Eglise ne se taira jamais.

Entretien de Mgr Marcel Utembi avec Jean-Pierre Bodjoko, SJ

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06 janvier 2019, 17:41