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Prof Pius Ngandu Nkashama, Louisiana State University/USA (Photo: JP Bodjoko, SJ/Vaticannews) Prof Pius Ngandu Nkashama, Louisiana State University/USA (Photo: JP Bodjoko, SJ/Vaticannews) 

M. Pius Ngandu : Les discours racistes ont perdu leur base philosophique

Pour M. Pius Ngandu Nkashama, professeur de langue et littérature françaises au département de français de la Louisiana State University, aux États-Unis d’Amérique, les discours racistes ne tiennent plus, car ils ont perdu leur base philosophique.

Entretien réalisé par Jean-Pierre Bodjoko, SJ – Cité du Vatican

M. Pius Ngandu Nkashama est actuellement professeur de langue et littérature françaises au département de français de la Louisiana State University, aux États-Unis d’Amérique. Il a participé à Rome , du 18 au 20 septembre 2018, à la Conférence mondiale sur « la xénophobie, le racisme et le nationalisme populiste dans le contexte des migrations mondiales », organisée par le Dicastère pour le Service du Développement Humain Intégral et le  Conseil Œcuménique des Églises (COE), en collaboration avec le Conseil pontifical pour l’Unité des Chrétiens. Cette Conférence a vu la participation de plusieurs experts venus du monde entier. L’intervention de M. Ngandu Nkashama à ce congrès mondial a porté sur les perspectives socio-historiques et culturelles du phénomène.

Un passé affreux

« Les Etats-Unis ont souffert énormément du racisme. Ils sont allés vers les extrêmes affreux, non seulement à travers l’esclavage, les tueries, les pendaisons, les discriminations les plus flagrantes. C’est aussi le pays qui a lutté et qui s’est défendu par tous les moyens contre ce genre de racisme. Malgré les apparences, les Etats-Unis sont parvenus à trouver un équilibre social en vue de concilier les cultures, les sociétés, les hommes de différentes races, civilisations et opinions en vue de travailler ensemble. C’est un actif dont on ne parle pas beaucoup mais qui compte énormément en faveur des Etats-Unis ». Mélange de plusieurs peuples et cultures, les Etats-Unis sont parvenus à se constituer comme une nation. Mais Ngandu Nkashama reconnaît que pour arriver à un tel résultat, « il a fallu concilier les oppositions, les contradictions, les oppressions parfois les plus flagrantes et terribles ». La preuve en est qu’il est enseignant dans une université qui, pendant longtemps n’acceptait pas les noirs.  « C’est le résultat acquis de l’histoire américaine ; résultat d’un combat, d’une lutte de longue haleine ». En France,  confesse-t-il, « j’ai eu plus de mal à trouver du travail dans une université ».

Toutefois, il existe encore des récidivistes, ceux que l’homme de lettres qualifie de  racistes fondamentaux. Ngandu Nkashama estime que le racisme contraignant n’existe plus. Il soutient son argument en donnant l’exemple  de Barack Obama  qui a été élu Président des Etats-Unis d’Amérique. Une élection qui  a eu un impact psychologique sur la population noire. Bien qu’Obama n’ait pas changé grand-chose, son élection a poussé beaucoup de noirs à changer leur comportement, leur manière de vivre. Ils commencent à s’imposer, à marcher dans la rue, à réclamer leurs droits.

Devenir des constructeurs d’un monde fictionnel

Ngandu Nkashama invite les noirs à penser « l’impossible dans ce monde marqué par la violence raciale et les extrémismes de tout genre. » Les  minorités ne doivent plus se sentir brimées au point de renoncer à elles-mêmes, à leur culture et à leur identité. Pour lui, être constructeur d’un monde fictionnel signifie avoir le courage d’exprimer son imaginaire ; de penser l’impensable. L’artiste, affirme-t-il, c’est celui qui va au-delà des réalités banales et quotidiennes. Il ose imaginer ce que les autres n’ont même pas encore à l’esprit.  Ainsi, vivre dans l’asservissement, par peur de représailles n’arrangerait rien à la situation. Cela contribuerait plutôt à donner plus de forces aux oppresseurs racistes. « Aujourd’hui, la force des armes n’a plus un pouvoir contraignant sur les peuples. Ces derniers ont acquis, par eux-mêmes, à travers leur propre intelligence, le refus d’inculquer aux autres peuples les notions d’êtres inférieurs ou primitifs ».

Le populisme européen

« Les discours absurdes et racistes  des populistes européens ne tiennent plus, car ils ont perdu leur base philosophique ». Ces discours sont dépourvus d’arguments  aussi bien philosophiques, moraux que religieux pouvant emmener à croire qu’il existe des peuples inférieurs et supérieurs. Il s’agit, selon l’homme de lettres Congolais, d’un jeu politique banal. « Les populistes montrent les muscles ; ils font des discours retentissants pour amuser la galerie, mais ils sont dans la contradiction suprême. Ils insultent les noirs et leur demande de rentrer en Afrique. Mais s’ils rentraient, il ne resterait pas grand-chose en Europe et ils en sont conscients ». Les populistes ne font pas peur aux autres peuples ; plus ils crient, plus ils s’affaissent sur leurs propres contradictions. Les partis populistes se battent pour le pouvoir politique, mais, une fois ce pouvoir acquis, ils ne savent pas résoudre les questions les plus élémentaires, à savoir : rétablir l’ équilibre au sein de leurs propres peuples. Ils montrent ainsi à la face du monde leur vulnérabilité. Cette vulnérabilité ne leur permettra jamais de triompher dans un monde où, à travers la technologie, l’intelligence humaine est partagée. « L’intelligence humaine n’est pas une exclusivité d’un peuple, ou d’une race. De même, le monde ne sera l’apanage ni des racistes, ni des xénophobes », martèle Ngandu Nkashama.

Migrations des africains : une loi de l’histoire

La responsabilité de la fuite des africains vers d’autres continents, Ngandu Nkashama l’attribue aux gouvernants. Toutefois, reconnaît-il, c’est une loi de l’histoire. Après l’explosion démographique des peuples en Europe dans les années 1700-1800, ces derniers se sont dispersés de la même manière que le font les jeunes africains aujourd’hui : sur les bateaux de fortune, dans des conditions inimaginables. « Qu’est-ce qu’ils allaient chercher dans un monde qu’ils ne connaissaient même pas ? C’était juste une loi dictée par l’explosion démographique ; ils ne pouvaient plus vivre en Europe où il y avait eu des révolutions et des guerres. »

Ngandu Nkashama invite à voir dans les faits bruts, la même équation : « Il y a une loi démographique de l’histoire. Si vous prenez l’exemple de la France ; ils étaient 5 millions au 17ème siècle au temps de Louis XIV, et 8 millions au 18ème siècle ; arrivés à 15 millions au 19ème siècle, ce sont les guerres napoléoniennes, c’est la fuite, tout le monde part. Ils ne pouvaient plus tenir dans un espace étroit qu’est la France ». En comparaison à la  République Démocratique du Congo son pays, Ngandu Nkashama estime qu’en  1960, la population était d’environ 13 millions.  Une population qui  se multiplie par deux chaque 15 ans. Ainsi les quelque  80 millions de Congolais d’aujourd’hui ne peuvent plus vivre ni en tribus, ni en clans. Même si la République Démocratique du Congo est un pays qui n’a pas de problème d’espace, Ngandu Nkashama se réfère plutôt  à l’espace vital  que géographique;  un espace de partage du bien commun. « Ce que mon oncle pouvait faire pour moi: me payer les études, me prendre en charge, je ne peux pas le faire pour les autres membres de ma grande famille  qui s’élève à  environ 200 personnes ».

Imaginer d’autres solutions

La limitation des naissances ne résoudra aucun problème, selon l’homme de lettres congolais. En Afrique, confesse-t-il,  les enfants sont un héritage. Si les Africains ont beaucoup d’enfants, cela dépendait, autrefois, de la sélection naturelle due à une haute mortalité. « Avec la médecine moderne et la baisse de la mortalité infantile, il se pose un besoin  d’espace vital et économique. Et les jeunes doivent partir ». En dehors de la migration, les autres solutions doivent être imaginées, pensées. Le développement de l’Afrique ne doit plus s’inspirer des modèles répétitifs. Le développement de l’Europe n’est plus un modèle à suivre. Aujourd’hui, estime Ngandu Nkashama, le développement ne signifie plus faire ce que les autres ont fait. Il s’agit plutôt de développer ses propres potentialités à travers la prise en charge d’un  héritage commun. L’émergence de nouvelles puissances démontre que le développement de l’Europe est terminé. « Nous sommes maintenant orientés vers le lancement du développement de l’Afrique, et la montée de l’Afrique fait peur à plusieurs puissances aujourd’hui », estime-t-il.

De Lubumbashi à Louisiane

M. Pius Ngandu Nkashama est né en 1946 à Mbujimayi, dans la province du Kasaï Oriental, en République démocratique du Congo. Après des études de philosophie et de lettres à l’Université Lovanium en 1970, il est nommé assistant à l’Université nationale du Zaïre à Lubumbashi. Il a également dirigé le Centre d’études africaines. Il obtient en 1981 un doctorat en lettres et sciences humaines de l'Université de Strasbourg, en France. Il a enseigné dans plusieurs universités dont Annaba et Constantine en Algérie, Limoges et la Sorbonne en France. Depuis 2000, il s’est installé aux États-Unis d’Amérique où il est professeur de langue et littérature françaises à l’Université d’Etat de Louisiane. En 2004, Ngandu Nkashama a reçu le prix Fonlon-Nichols pour ses valeurs démocratiques, sa pensée humaniste et son excellence littéraire chez un auteur d'origine africaine.

M. Pius Ngandu Nkashama au micro de Jean-Pierre Bodjoko, SJ

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06 novembre 2018, 18:03