M. Raymond Ranjeva, président de l’académie malgache, ancien vice-président de la Cour internationale de justice M. Raymond Ranjeva, président de l’académie malgache, ancien vice-président de la Cour internationale de justice  

Pour M. Raymond Ranjeva, le racisme est un concept de discrimination (Part 3 et fin)

Il a été organisé à Rome du 18 au 20 septembre 2018, la Conférence internationale sur la xénophobie, le racisme et le nationalisme populiste dans le contexte des migrations mondiales. Cette conférence a été une initiative du Dicastère pour le Service du Développement Humaine Intégral et Conseil Œcuméniques des Eglises, COE, en collaboration avec le Conseil pontifical pour l’Unité des Chrétiens.

Jean-Pierre Bodjoko, SJ – Cité du Vatican

La problématique de la migration contemporaine trouve son ancrage dans l’instauration d’une gouvernance mondiale. Par ailleurs, l’Eglise dans sa doctrine sociale propose la voix de la reconstruction de la société sur pied de valeurs de justice, de vérité et de solidarité pour la paix et la fraternité. C’est en somme ce que M. Raymond Ranjeva souligne dans la suite de sa réflexion en rapport à la Conférence internationale sur la xénophobie, le racisme et le nationalisme populiste dans le contexte des migrations mondiales.

Les enjeux de pouvoirs, a-t-il estimé, affectent les deux visages du pouvoir politique : le pouvoir politique de décision et le pouvoir politique de relation.

Le pouvoir politique de décision concerne l’exécutif avec la gouvernance mondiale et la régulation avec la normativité. Les lignes qui suivent sont ses idées, ressorties aussi dans l’entretien qu’il a eu avec Vaticannews.

La mise en place d’une  gouvernance mondiale est un enjeu majeur de la problématique de la migration contemporaine. Les institutions et organisations internationales contemporaines ont été instituées pour la gestion des flux mais elles n’ont pas été envisagées pour prendre en charge le traitement de la migration. Leur mission a vocation à assurer la coexistence et la coordination d’intérêts souverains menacés par la migration de masse. La sécurisation des intérêts légitimes  et la gestion du bien commun ne peuvent être assurées que par une gouvernance investie des compétences pour prononcer des sanctions même contre des Etats souverains. Basée sur une nouvelle éthique des relations internationales relevant du jus cogens, cette gouvernance doit prescrire l’adoption de la solidarité de l’humanité dans son acception verticale et horizontale et avec le monde de la création. L’efficience de l’action implique la responsabilisation de tous les acteurs stratégiques, sans monopole ni exclusion, en un mot : démocratisation de la responsabilité des institutions représentatives. Cette nouvelle gouvernance requiert dialogue et partenariat avec tous les acteurs et non plus avec les seules institutions financières pour aboutir à l’acceptation effective de nouvelles obligations de résultats. Elle est alors annonce de la solidarité humaine universelle sur la base de considérations éthiques de justice, de vérité et de solidarité.

“Il faut avoir le courage politique d’adopter des normes contraignantes”

Le second volet des enjeux du pouvoir politique de décision est relatif à la normativité, c’est-à-dire l’adoption d’une convention internationale sur la migration de masse. L’ouverture des négociations implique la réalisation d’un large consensus  politique préalable entre les Etats. Sur le plan technique, la résolution de  l’Institut de Droit international sur les migrations de masse écarte les questions sensibles. Elle se limite à des règles fondamentales régissant les rapports entre l’Etat et les migrants aux différentes étapes de la migration.

Au fond, il faut avoir le courage politique d’adopter des normes contraignantes de jus cogens avant l’avènement de nouvelles formes de pensées, d’institutions ou de normes politiques dérivées des nouvelles ingénieries juridiques, technologiques et économiques. L’encyclique Laudato Si’ clarifie le discours. Les propositions scientifiques en matière économique et sociale, s’articulent autour de considérations utilitaristes pour la croissance tandis que le discours de l’Eglise se fonde sur la primauté de la solidarité comme impératif catégorique. Les juristes sont  concernés par l’affaire du délit de solidarité avec la question : le délit de solidarité est-il constitutionnel. La lucidité doit amener les dirigeants politiques  à sonner le tocsin pour avoir bonne conscience et surtout  pour organiser le transfert des responsabilités. La carence politique n’aura comme effet que la menace à la paix et à la sécurité internationale voire globale face à la purulence gangreneuse du mal.

L’échec des Sommets mondiaux face au triomphe des pouvoirs et savoirs financiers et économiques  illustre les difficultés à s’entendre sur des normes impératives. Malgré les stratégies d’obstruction, les avancées ont été possibles avec une attitude d’écoute, d’humilité, des débats de haut niveau  et transparents pour adopter des projets fondés sur la solidarité, la confiance réciproque et l’engagement pour un avenir d’espérance et de progrès.

Le  triple volet diplomatique, scientifique et médiatique dans lequel est identifiée la norme pose la question de la validité des options, compte tenu de la représentativité du cercle des ratifiants dans un cadre consensualiste (l’idée de communauté internationale ou des membres permanents du Conseil de Sécurité).

Sur le plan politique, face à la résistance au développement progressif du droit opposée par les grandes puissances, la résignation constitue une fausse solution. L’équilibre des relations entre les parties est valable tant que ces rapports inégaux sont acceptables politiquement pour les partenaires. Lorsque les mentalités et les structures sont dépassées face aux demandes nouvelles, les nouveaux paradigmes imposent le développement progressif du droit. L’efficacité  de cette action requiert une gouvernance mondiale dans un esprit de compétence, intelligence et abnégation.

“L’épistémologie de la doctrine sociale de l’Eglise envisage l’immigration en termes à la fois de justice et de dignité de l’homme”

Le pouvoir politique de relation est fortement obéré par l’aliénation exercée par l’imaginaire politique pour refuser la migration. Oppression aisée car le facteur d’extranéité permet de désigner le migrant comme bouc émissaire.

Le préjugé péjoratif à l’égard du migrant a favorisé le développement du mythe, au sens de Georges Sorel. C’est une subversion des esprits avec  le rejet systématique des valeurs éthiques et de l’esprit de discernement. Il ne s’agit pas de convaincre mais de faire faire, de façon violente et spectaculaire, par le peuple ce qui a été préalablement défini. Ce peuple  représente non pas l’ensemble des citoyens mais une catégorie définie de personnes dont les options idéologiques et l’activisme partisan sont connus.

Les enjeux politiques concernent la libération de l’aliénation exercée par l’imaginaire. La force de l’imaginaire est fragilisée face au concret et  au respect de la vérité des faits matériels. La libération de la vérité passe par la « défascination » du mythe, aussi ne peut-on se réduire à la déconstruction laborieuse du discours pervers. C’est l’épistémologie de la doctrine sociale de l’Eglise qui envisage l’immigration en termes à la fois de justice et de dignité de l’homme.

L’idéologie du national populisme est l’expression du mythe dans le phénomène de la migration globale et représente le dernier enjeu de pouvoir peut-être le plus important. La libération de la vérité dans l’imaginaire porte sur l’éducation et la formation. Le discernement entre populisme et peuple démocratique est la première des priorités. L’éducation doit faire comprendre les vrais  tenants et les aboutissants de l’interrelation entre peuple démocratique et le populisme et ensuite expliquer comment l’escroquerie  du discours populiste est anti-démocratique. Il faut être clair le populisme est inacceptable et inadmissible  car fondé volontairement  sur le mensonge pour prôner la discrimination, le mépris de l’intelligence ainsi que  l’indifférence à l’égard du problème social. Sa victoire électoraliste résulte  de l’abstentionnisme et de l’indifférence politique ! Le sursaut civique, face au  comportement des électeurs, suscite le réveil de ceux qui s’estiment représentants du « vrai » peuple  avec les insurrections,  les manifestations agoréennes, etc.  La psychorigidité dans le populisme pousse ses leaders à une soif d’absolu en attribuant à leur « peuple véritable » leurs fantasmes .

Principe de subsidiarité et du holisme 

L’Eglise doit dispenser une éducation politique pour une maîtrise globale  du phénomène migratoire avec l’institutionnalisation en corps collectif de répondants au discours théorique et fécond exposé.

La culture de la doctrine sociale de l’Eglise est avec les derniers enseignements du Pape François le socle de cette reconstruction de la société sur base de vérité, de justice, de solidarité pour la Paix et la fraternité.

La mise en pratique du principe de subsidiarité et de celui du holisme implique la détermination des trois axes de la formation dispensée. En premier lieu le dépassement du sentiment d’impuissance en particulier lorsqu’il faut tout traiter en même temps pour avoir un impact significatif. En deuxième lieu le démantèlement du sentiment d’isolement avec la mise en œuvre du principe de l’holisme c’est-à-dire la coordination horizontale et active des actions pour inculquer aux acteurs et responsables la conscience de l’engagement solidaire et réciproque. En dernier lieu, la culture du résultat.

La neutralisation positive de l’indifférence à l’égard des migrants est le principal enjeu politique. Cette indifférence est le terreau de la subversion. La subversion redoute d’être interpellée à partir des exigences de justice et de vérité sur les faits. Mais à l’inverse est-on disposé à admettre la remise en cause du confort acquis et des solutions de facilité, même et surtout lorsque ces acquis sont obsolètes ?

La neutralisation de la crédulité à l’égard de la propagande idéologique hostile à la migration représente le dernier enjeu . La crédulité liée à la vanité est qui est exploitée à titre d’autorité et de caution. L’objet est non pas de convaincre sur la base de projets  mais de plaire.

“Nous sommes les acteurs, les témoins et les victimes d’un monde qui s’écroule”

En conclusion, à la corrélation entre les trois concepts, la mondialisation a amené une super-problématique politique du fait de la dimension du problème, de sa représentation imaginaire. Le choix en faveur du politique justifie la triple audace : oser penser pour créer, oser parler pour partager solidarité, justice et oser agir pour briser le sentiment d’impuissance et d’isolement. Ce défi est global.  Nous  sommes les acteurs, les témoins et les victimes d’un monde qui s’écroule. La survie de l’humanité est un enjeu! La globalisation des enjeux impose une politique autre : l’annonce d’une parole  de libération, de joie, de paix, la confiance en la Parole de Vie. L’Eglise représente un Pouvoir Politique logique du sixième continent l’Internet ! Organiser pour que les citoyens comprennent qu’ils sont libérés et que le  migrant est un maillon dans la chaîne de solidarité humaine. Un nouveau monde apparaîtra alors sous nos yeux.

Entretien de JP Bodjoko, SJ, avec M. Raymond Ranjeva (3)

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08 octobre 2018, 17:09