Mgr Fridolin AMBONGO, Archevêque coadjuteur de Kinshasa et vice-président de la CENCO Mgr Fridolin AMBONGO, Archevêque coadjuteur de Kinshasa et vice-président de la CENCO 

Rd Congo : Mgr Fridolin Ambongo estime que Jésus n’a jamais été au milieu du village devant des situations d’injustice et de discrimination manifestes

Les évêques de la République démocratique du Congo, qui se disent garants de l’Accord de la Saint Sylvestre, s’insurgent contre le refus le pouvoir en place d’appliquer l’accord qui pouvait garantir des élections libres et apaisées

Jean-Pierre Bodjoko, SJ – Cité du Vatican

La Conférence des évêques de la République démocratique du Congo ne pouvait pas rester indifférente devant la situation qui s’est créée dans leur pays, après le refus des autorités de laisser rentrer au pays l’opposant Moïse Katumbi qui voulait déposer sa candidature pour l’élection présidentielle du 23 décembre 2018.

C’est ce qui justifie leur communiqué du lundi 6 août 2018 dans lequel les évêques congolais exhortent les autorités à éviter tout ce qui pourrait amener le pays dans une situation incertaine. Ainsi, ils n'ont pas hésité de parler d’un traitement ségrégationniste envers Katumbi. Un traitement qui peut inutilement entraîner des conséquences fâcheuses.

Mgr Fridolin Ambongo Besungu, archevêque coadjuteur de Kinshasa et vice-président de la Conférence des évêques du Congo, Cenco, n’a pas voulu mâcher des mots pour exprimer l’inquiétude qui s’installe dans son pays.

Faisant référence au message qu’ils viennent de publier, le vice-président de la Conférence épiscopale nationale du Congo, affirme que comme garants de l’Accord de la Saint Sylvestre, qui a donné un cadre, une voix de sortie au peuple congolais, les évêques dénoncent la violation de cet accord depuis sa mise en application, même si la publication du calendrier électoral par la Commission électorale nationale indépendante, CENI, a donné l’espoir à la population qui voyait un cheminement vers les élections, conformément à la constitution et conformément à l’Accord de la Saint Sylvestre. Il y a des événements, comme les évêques ont fait remarquer lors de leur dernière assemblée plénière, a-t-il affirmé, qui préoccupent énormément, en particulier ce qui s’est passé récemment, avec le refus par les autorités de laisser rentrer au pays M. Moïse Katumbi.

Prise de position pour une partie concernée ?

Nous ne prenons pas position, puisque cela a été un cas explicitement cité dans l’Accord de la Saint Sylvestre, soutient Mgr Ambongo pour qui le cas de Katumbi avait été confié aux évêques qui ont mené leurs enquêtes et sont arrivés à une conclusion qui a été remise à qui de droit.  Par ailleurs, l’archevêque coadjuteur de Kinshasa affirme que pour que les élections soient vraiment crédibles, elles doivent être inclusives, avec égalité de chance pour toutes les parties prenantes. Or, ce qui s’est passé, avec le refus de laisser M. Katumbi rentrer au pays, c’est comme si on est en train d’exclure un candidat avant même qu’il ne se mesure aux autres dans les urnes. C’est donc un traitement ségrégationniste, « car c’est un traitement réservé à l’individu qui s’appelle Moïse Katumbi ». Et là ce n'est pas juste, lance-t-il, en ajoutant que si M. Katumbi  a commis des délits, qu’on le laisse rentrer au pays et qu’il soit jugé. « On ne peut donc pas l’empêcher de rentrer au pays alors qu’il est citoyen congolais au même titre que tout le monde », a-t-il encore affirmé.

Des signes que ce ne seront pas des élections apaisées… 

L’inquiétude des évêques congolais est que les élections ne puissent être apaisées. « Nous avons l’impression que l’on est en train de biaiser les élections en sélectionnant d’avance les candidats qu’on veut bien qu’ils se présentent. Quelle est donc cette instance qui peut sélectionner les candidats si ce n’est le peuple lui-même ? Que l’on laisse donc les candidats se présenter devant le tribunal du peuple et que ce dernier soit l’unique juge. Nous sommes donc très inquiets », relève Mgr Ambongo.

Les politiciens congolais sont sourds d’oreille. Et cette attitude fait dire à Mgr Ambongo que le constat est malheureusement clair : le pays ne va pas mieux. « Les autorités auront peut-être intérêt à nous écouter davantage et les choses iraient mieux ».

Mgr Ambongo affirme aussi que l’Eglise catholique ne désespère  pas malgré tout, « car nous sommes des hommes de foi et d’espérance . Nous pensons que malgré les vicissitudes du moment, le peuple est décidé à aller aux élections pour se donner des dirigeants selon son cœur ». Ceci, malgré beaucoup de points de discussions, de friction, qui laissent penser que les élections, si on ne résout pas d’abord certains cas, risquent de ne pas être apaisées.

« Il y a beaucoup d’éléments qui laissent penser qu’il y a une volonté manifeste de brouiller les choses, et plus les choses sont brouillées, mieux ça vaut pour certaines personnes. Et c’est ça qui crée l’inquiétude chez nous. Le peuple veut aller aux élections, mais il y a beaucoup de gestes, de comportements, surtout de la part du pouvoir, qui laissent penser, qui laissent semer des doutes, sur l’effectivité des élections annoncées pour le 23 décembre 2018 », a déclaré l’archevêque coadjuteur de Kinshasa.

“La classe politique … continue à aller d’égarement en égarement.”

A la question de savoir si les évêques n’assistaient pas impuissants , malgré leurs communiqués, exhortations, appels, devant des faits accomplis, Mgr Ambongo reconnait qu’ils font un peu l’expérience des prophètes, et même de Jésus, qui ont toujours prêché dans le vide. « Quand leurs voix, leurs cris ne sont pas écoutés, les prophètes souffrent des conséquences de ce qui arrive. Un prophète souffre au même titre que le peuple.  A cause de cette situation, nous comme pasteurs, nous souffrons. La classe politique ne nous écoute pas suffisamment et continue à aller d’égarement en égarement », a encore soutenu Mgr Ambongo qui n’a pas peur que l’on accuse l’épiscopat congolais de ne pas être au milieu du village. « Cela ne nous étonnera pas, parce que nous sommes habitués à ce genre du discours. La question est de savoir ce que signifie être au milieu du village. Quand on est devant une situation d’injustice manifeste, doit-on se taire pour ne pas être accusé de parti pris ? Je ne sais pas. Mais ce que je sais est que Jésus Christ n’a jamais été au milieu du village devant des situations d’injustice et de discrimination manifeste », a-t-il clamé.

Mgr Fridolin Ambongo au micro de Jean-Pierre Bodjoko, SJ

Voici le texte du communiqué des évêques de la République démocratique du Congo :

APPEL AUX ELECTIONS INCLUSIVES ET APAISEES

Communiqué de la CENCO à l’occasion du dépôt des candidatures aux élections présidentielles et législatives du 23 décembre 2018 en RDC

1. Convaincus que seules les élections crédibles, transparentes et inclusives sont la solution à la crise actuelle en RDC, les Evêques membres de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO), en leur qualité de garants de l’Accord de la Saint-Sylvestre, veilleurs et éveilleurs des consciences, en vertu de leur mission prophétique, encouragent et suivent de très près le processus électoral en cours.

2. A cette étape décisive du déroulement du calendrier électoral, à savoir le dépôt des candidatures à l’élection présidentielle et  aux élections législatives, la CENCO félicite la CENI, les autorités du pays et les acteurs politiques pour les efforts fournis jusqu’à ce niveau. Elle souhaite que le processus électoral se poursuive en conformité avec la Constitution et l’Accord de la Saint-Sylvestre et soit ouvert à tous les candidats qui en remplissent les conditions et se clôture dans la paix.

3. Cependant, la CENCO est vivement préoccupée par la volonté affichée par ceux qui sont au pouvoir d’exclure certains candidats à la Présidence de la République. A ce propos, la CENCO est très peinée par le sort inacceptable réservé à Monsieur  Moïse Katumbi, sujet congolais, à qui les autorités refusent l’entrée dans notre pays, en l’obligeant de rester à l’étranger.

4. Dans la perspective de l’application de l’Accord Politique Global et Inclusif du Centre Interdiocésain, un tel traitement ségrégationniste ne se justifie point et peut inutilement entraîner des conséquences fâcheuses qu’il faut absolument éviter. A cet effet, il est de notre devoir de pasteurs de prévenir à temps les responsables de notre pays.

5. Il sied de rappeler que l’appartenance à une nation dont on se reconnaît est un droit naturel reconnu à tous les êtres humains partout au monde et particulièrement dans notre Constitution qui stipule : « Aucun congolais ne peut être ni expulsé du territoire de la République, ni être contraint à l’exil, ni être forcé à habiter hors de sa résidence habituelle » (Article 30, Alinéa 2). Elle ne saurait, de ce fait, être violée, aliénée arbitrairement, refusée à un individu sous aucun prétexte. Un tel refus ressemble, à plusieurs égards, à un déni identitaire, qu’aucune société humaine ne peut aujourd’hui tolérer.

6. La CENCO exhorte vivement les autorités congolaises à revenir sur leur décision en laissant notre compatriote Moïse Katumbi entrer au pays et  déposer sa candidature comme tous les autres candidats. Nous estimons que la vraie bataille, pour l’instant, doit être électorale, dans le respect des droits de tous et de chaque individu, dans la paix et l’égalité des chances. La crédibilité des scrutins est à ce prix. En vraie Démocratie on ne se choisit pas les adversaires politiques. C’est à la CENI qu’il revient de statuer sur la validité ou non d’une candidature. Maintenir une telle décision est un grand recul pour la démocratie.

7. Aussi la CENCO déplore et condamne-t-elle la violence, avec mort d’hommes et d’énormes dégâts matériels, ayant prévalu ces jours-ci au poste frontalier de Kasumbalesa. Elle exhorte vivement les autorités congolaises à faire preuve de retenue et de haut sens de responsabilité, en veillant à la sécurité et à la protection de tous, sans discrimination aucune. Les élections que le Peuple congolais attend doivent être crédibles, transparentes et inclusives.

8. Que Dieu, qui nous a donné un pays merveilleux, veille sur notre Peuple et lui accorde la paix par l’intercession de nos Bienheureux Marie-Clémentine Nengapeta et Isidore Bakanja.

Fait à Kinshasa, le 06 août 2018

Mgr Fridolin AMBONGO BESUNGU                               Mgr Marcel UTEMBI TAPA

Vice-Président de la CENCO                                               Président de la CENCO

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07 août 2018, 14:30