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le 8 mars 2023, des membres de la Ta'ang National Liberation Army à l'entrainement dans une forêt de l'État Shan. le 8 mars 2023, des membres de la Ta'ang National Liberation Army à l'entrainement dans une forêt de l'État Shan.  (AFP or licensors) Les dossiers de Radio Vatican

Menace inédite pour la junte en Birmanie

Engagée sur de nombreux fronts, l'armée birmane perd du terrain au nord du pays, dans l'État Shan frontalier de la Chine. Dans cette zone stratégique, des groupes armés se sont unis pour lancer une offensive de grande ampleur contre la "Tatmadaw", qui se retrouve mise au défi comme jamais depuis son retour au pouvoir en 2021.

Entretien réalisé par Marie Duhamel - Cité du Vatican

«L’ampleur de l’opération montre un grand niveau de coopération et de capacité militaire des forces révolutionnaires, qui étaient jusqu’à présent sous-estimées. Elles avancent aujourd’hui extrêmement vite», souligne la coordinatrice d’Informations Birmanie. Profitant de la fin de la période des moussons, plusieurs groupes armés unis au sein de la ‘Brotherhood alliance’ ont en effet lancé une offensive terrestre sur plusieurs fronts dans l’État Shan, au nord du pays, contre la junte qui a repris le pouvoir à la faveur d’un coup d’État en février 2021, après dix ans de démocratie.

L'Armée de l'alliance démocratique nationale du Myanmar (MNDAA), l'Armée de libération nationale Ta'ang (TNLA) et l'Armée de l'Arakan (AA) revendiquaient dans un communiqué publié il y a une semaine la prise de contrôle de dizaines d'avant-postes et de quatre villes, mettant les militaires de la Tatmadaw (nom de l'armée birmane, ndlr) face à un défi inédit depuis le renversement du gouvernement élu, dont la Nobel de la paix Aung san Suu Kyi était l’égérie.

Johanna, d’Informations Birmanie

La coordinatrice d’Informations Birmanie signale des attaques ouvertes sur le principal poste-frontière avec la Chine, à Muse, mais aussi sur la capitale de l’État Shan du nord, Lashio. Plus au sud dans les terres, toujours dans l’Etat Shan, les groupes armés tentent d’encercler la ville de Mogok, qui produit la majeure partie des rubis du monde, «une manne financière potentielle énorme, en perte pour la junte, en gain pour les forces révolutionnaires». Leurs troupes avanceraient également vers Pyin U Lwin, une localité qui domine Mandalay, la deuxième ville du pays, où se trouve non seulement l’institut de recherche en technologie militaire, mais aussi les résidences secondaires des militaires, précise la coordinatrice d’Informations Birmanie.

Appauvrir la junte

La ‘Brotherhood alliance’ souhaite reprendre le contrôle de ce qu’elle estime être son territoire mais, «cela s’inscrit dans l’aspiration du peuple birman d’en finir avec la dictature militaire. Ils l’affirment d’ailleurs dans leur communiqué annonçant l’opération», explique Johanna. Avec cette opération à la frontière avec le Yunnan chinois, les groupes armés espèrent également affaiblir économiquement la junte. Parmi les localités conquises, la ville de Chinshwehaw est un fait d’armes important. Ce poste-frontière est crucial pour les échanges avec Pékin, principal partenaire commercial des militaires birmans en manque de liquidité. Ont transité dans la ville un quart du commerce avec la Chine, pour une valeur de 1,7 milliard d’euros entre avril et septembre dernier, selon un média d’État birman. «C’est un point de levée de taxes et d’approvisionnement de matériel venant de la Chine, pays qui est avec la Russie, le principal fournisseur en armes de la junte», note la coordinatrice d’Informations Birmanie, et ainsi prendre des postes-frontières peut couper le flux d’armes.

Frappes aériennes et civils en fuite

Mise au défi au sol, la junte a promis de répliquer et elle le fait en recourant «de manière massive à l’aérien». Cette dernière année, les frappes n’ont cessé d’augmenter, explique Johanna qui résume ainsi: «plus l’armée perd, plus elle procède à des bombardements». Et d’ailleurs, souligne-t-elle, le «grand problème pour les groupes armés est que le contrôle au sol ne garantit pas la sécurité des populations». Selon les Nations unies, qui se font l’écho de «tirs d’artillerie et de frappes aériennes ayant fait des victimes civile», plus de 33 000 personnes ont été déplacées dans la zone, ce qui augmente les besoins humanitaires.

«Nous sommes en pleine période de récolte du riz, et si celle-ci n’a pas lieu, il n’y aura pas à manger cet hiver», explique encore la coordinatrice d’Informations Birmanie. Or les combats durent depuis trois ans et il n’a pas été toujours possible de semer, ce qui explique une inflation record sur les prix des denrées alimentaires, poursuit-elle.

Une base de l'armée birmane attaquée dans l'État Shan, le 28 octobre.
Une base de l'armée birmane attaquée dans l'État Shan, le 28 octobre.

Le «vif mécontentement» de la Chine

Samedi dernier, un tir d’obus de l’armée birmane visant la ville frontalière de Laiza où se trouve le quartier général de l'Armée de l'indépendance kachin (KIA), aurait atterri côté chinois de la frontière, tuant un Chinois et en blessant deux autres.

A Pékin, le gouvernement a exprimé ce mardi son «vif mécontentement», protestant «solennellement auprès des parties concernées», a déclaré à la presse Wang Wenbin, porte-parole de la diplomatie chinoise. Le week-end dernier, Pékin avait déjà envoyé son ministre chinois assistant des Affaires étrangères, Nong Rong, à la rencontre du vice-Premier ministre et ministre birman des Affaires étrangères Than Shwe, pour exiger le retour de la stabilité à la frontière.

Que ce soit l’armée ou ses détracteurs, il y a une volonté de la part des deux camps de de préserver les intérêts chinois. «Il n’y a d’ailleurs eu aucune attaque de la part de la ‘Brotherhood alliance’ contre les pipelines qui remontent vers le Yunnan chinois», note Johanna. La coordinatrice d’Informations Birmanie relève même la main tendue par l’alliance à la Chine. Dans leur communiqué, les groupes armés engagés dans l’Etat Shan se disent prêts à lutter contre les centres clandestins de fraudes en ligne, tenus en Birmanie par des mafias chinoises et que Pékin souhaite voir fermer.

L’espoir d’un délitement de l’armée

S’ils espèrent devenir un partenaire de la Chine et priver la junte de son principal interlocuteur, les groupes armés de l’Etat Shan rêvent aussi de priver les militaires de ses bras armés. Trois jours après le début des combats, la ‘Brotherhood alliance’ affirmait qu’une centaine de soldats, convaincus de leur prochaine défaite, avaient quitté la ligne de front en emportant leurs armes. «Il est très compliqué de faire défection, explique la coordinatrice d’Information Birmanie, les familles des soldats vivent dans des casernes et fuir revient à les mettre en danger. Il faut vraiment une opportunité, un coup de chance, comme une autorisation de voyager». Les désertions se font au compte-goutte et ce mouvement de défection dans les rangs de l’armée serait ainsi «très significatif». Et ce qui est «très malin» de la part des groupes armées combattant la junte, c’est qu’ils promettent aux soldats en fuite de garantir leur sécurité, de payer leurs frais de santé ou de transport afin d’assurer les regroupements familiaux, explique la chercheuse. Elle soutient qu’aujourd’hui, «la meilleur sortie du conflit serait un délitement de la Tatmadaw».

Un tremplin ?

Dans le nord, l’offensive, en cours, a créé un élan. Plusieurs opposants armés à la junte tels que la People’s defense force ou la People’s liberation army, ont rejoint les combattants de la ‘Brotherhood alliance’ pour attaquer les positions de l’armée ou les tentatives de ravitaillement de la Tatmadaw sur place. Et ce qui est en cours dans l’Etat Shan pourrait servir de tremplin. La coordinatrice d’Informations Birmanie évoque en particulier l’Etat Rakin. Un cessez-le-feu y a été signé en 2022, mais le succès de l’offensive en cours pourrait réactiver le conflit avec l’Arakan army, engagée dans la ‘Brotherhood alliance’. «Aujourd’hui, conclut la spécialiste, l’armée sort affaiblie. Plusieurs fronts sont ouverts dans le pays et la Tatmadaw ne peut abandonner aucun».

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08 novembre 2023, 15:28