Cancer de la prostate: les populations afro-ascendantes sont-elles plus exposées?
Stanislas Kambashi, SJ – Cité du Vatican
«Ma recherche est basée sur une approche comparative du cancer de la prostate entre les Martiniquais essentiellement et les Congolais», a expliqué Hervé Kivudi, assistant senior en anatomie pathologique aux cliniques universitaires de Kinshasa (République Démocratique du Congo), actuellement en formation en France. L’étude consiste à comparer le Noir d’Afrique, représenté par les Congolais et les Noirs antillais, représentés par les Martiniquais, a-t-il précisé.
La prostate, a expliqué le jeune le médecin, «est une glande masculine urogénitale, qui a pour fonction principale de produire ce qu’on appelle le liquide prostatique», essentiel dans la formation du sperme. Il assure au sperme une certaine vitalité, il lui accorde la mobilité, la maturation et garantit surtout certaines fonctions essentielles au spermatozoïde. Cette glande joue aussi un rôle de contraction rythmique lors de l’éjaculation.
Comme tout organe, la prostate peut être sujet à des anomalies bénignes ou malignes
En tant qu’organe, la prostate peut être sujet à plusieurs maladies et infections, a fait observer Dr Kivudi. Dans le volet bénin, il y a des anomalies dystrophiques comme des hypertrophie bénigne de la prostate. Dans le volet malin, un cancer peut se développer. «Le cancer, c’est une tumeur maligne d’un organe… [qui provoque] une multiplication désordonnée et incontrôlée des cellules» et qui échappe au contrôle de l’organisme.
En termes de symptômes, a indiqué le médecin, le cancer de la prostate évolue sous deux formes. La première est latente et asymptomatique, «à 70% des cas», où la personne peut déjà avoir quelques stigmates du cancer. Elle est souvent découverte de manière fortuite lors des touchers rectaux. On peut constater que la prostate a augmenté de volume. Ou en faisant «un dosage de la PSA sérique, l’antigène spécifique de la prostate, on voit que c'est élevé au-delà de la valeur normale et de ce fait on fait une échographie endorectale et par après on peut voir que la personne avait déjà des stigmates du cancer de la prostate».
Des formes agressives de la prostate
Outre cette manifestation latente, il y a des formes agressives du cancer de la prostate, «qui se présentent d’emblée». C’est cette dernière «forme que l’on retrouve chez les populations noires, que ce soit d'origine africaine ou afro caribéenne», a souligné Hervé Kivudi. Parmi ses symptômes, on trouve des troubles urinaires, «notamment les dysuries», les rétentions urinaires - «la personne n'arrive pas à faire des miction convenablement», - les hématospermies (les émissions d’urine avec le sperme). Lorsque la tumeur a déjà fait des métastases, on a aussi des fractures, des douleurs osseuses, a-t-il expliqué.
Les facteurs environnementaux peuvent prédisposer à développer le cancer de la prostate
Outre les causes génétiques, les facteurs environnementaux sont l’un des paramètres qui peuvent prédisposer à développer le cancer de la prostate. C’est ces «facteurs épigénétiques», qui induisent des mutations, «qui nous a poussé à entreprendre cette étude», a révélé le docteur Kivudi. Les habitudes alimentaires, par exemple, peuvent avoir une grande influence. Il y aussi des produits chimiques comme des pesticides cancérigènes, la sédentarité, ect. Certaines études incrimineraient, surtout du côté des Caraïbes, la chlordécone, un pesticide écotoxique qui a été utilisé dans des plantations de bananeraies en Martinique.
«Voilà pourquoi, connaissant le fait que les deux populations, que ce soit africaines ou noires d'ascendance africaine, ont les mêmes mutations génétiques du cancer de la prostate, nous voulons, au cours de notre étude, comparer et voir si les mutations sont restées les mêmes ou s'il y a des facteurs environnementaux qui ont influencé d'un côté comme dans l'autre pour qu'il y ait des mutations différentes», a expliqué le médecin.
Les formes agressives du cancer de la prostate chez les populations africaines et caribéennes
Selon un constat, il y a des risques spécifiques qui rendent les hommes «noirs», africains et antillais, plus susceptibles de développer le cancer de la prostate par rapport à d’autres «groupes ethniques». Parmi les facteurs de risque de ce cancer, a indiqué le médecin, il y a l’âge du patient: les hommes qui ont en moyenne 50 ans sont plus prédisposés à contracter le cancer de la prostate. Il y a également des antécédents familiaux. A cela s’ajoute ce facteur d’ascendance afro-caribéenne, parce qu’on note que les personnes de cette origine «sont plus souvent concernés par les formes agressives du cancer de la prostate». Certaines études sont arrivées au même constat. L’une d’elles a montré que, pour les groupes de populations qui ont une ascendance africaine, on trouve 86 mutations génétiques de plus du cancer de la prostate. Ces personnes sont donc plus prédisposées à développer des formes graves de cette pathologie par rapport aux autres.
Se faire dépister à temps, pour réduire les risques
Pour le moment, les raisons de cette particularité ne sont pas encore connues, car «la science ne connaît pas tout». Certaines études ont tout simplement montré que ces groupes de populations afro-ascendante, «qu’ils soient d’Amérique, qu’ils soient d’Afrique, qu’ils soient d’Europe, ont cette prédisposition à faire des formes graves des cancers de la prostate».
Puisqu’on peut guérir du cancer de la prostate, docteur Kivudi conseille de se faire dépister à temps pour éviter que la maladie s’aggrave. Le médecin note qu’il existe plusieurs stratégies thérapeutiques, dont la radiothérapie, la chimiothérapie, l’immunothérapie, la chirurgie, etc. La communauté scientifique réfléchit aussi sur des méthodes thérapeutiques moins offensives et moins onéreuses.
Concernant les populations africaines et martiniquaises qui sont au centre de son étude, docteur Kivudi espère que les analyses pourront «permettre à la communauté scientifique de pouvoir, si possible, faire ce qu'on appelle la thérapie ciblée». Au sujet de cette recherche, le jeune médecin lance un appel aux financements. «Concernant notre recherche, on n'a vraiment pas encore obtenu de financement», a-t-il confié. Vu l’originalité du sujet, il espère trouver des partenaires qui puissent leur apporter une aide dans ce sens.
Message de prévention
Le cancer de la prostate une maladie qui touche en général un homme d’un certain âge, en moyenne 50 ans. Et le pic, c’est généralement autour de 55 à 60 ans, a expliqué Hervé Kivudi. Il y a des facteurs de risque qui prédisposent à cela, tout comme il y a des antécédents familiaux. Il y a des cancers qui évoluent très silencieusement et des cancers qui évoluent d’emblée de manière agressive. Par conséquent, il y a des pays qui ont mis sur pied des outils de dépistage. En France, par exemple, c'est systématique à partir de 45 ans. Si vous avez ces facteurs de risque, on vous fait des touchés rectaux, on vous fait également les PSA et on fait des biopsies, pour voir s’il y a un cancer. Une fois que l’un des symptômes apparaissent, il est important de faire dépister, conseille-t-il.
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