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Signature des accords de 1998 par le Premier ministre britannique Tony Blair et son homologue irlandais, Bertie Ahern. Signature des accords de 1998 par le Premier ministre britannique Tony Blair et son homologue irlandais, Bertie Ahern.  Les dossiers de Radio Vatican

25 ans de paix en Irlande du Nord et l'élément perturbateur du Brexit

Il y a 25 ans, le 10 avril 1998, Londres et Dublin signaient les accords de paix sur l’Irlande du Nord, mettant fin à plusieurs décennies de violences entre unionistes, majoritairement protestants favorables à l’attachement au Royaume Uni, et républicains, catholiques, partisans d’un rattachement à l’Irlande.

Entretien réalisé par Jean-Charles Putzolu - Cité du Vatican

L’accord du Vendredi Saint, prévoit l'autodétermination des habitants d'Irlande du Nord, la création d'institutions autonomes et le désarmement de la province. Désarmement qui mettra du temps à venir puisque l’IRA, l’Armée républicaine irlandaise, ne renoncera à la lutte armée qu’en juillet 2005. Et c’est cette étape qui a permis en 2007 la formation du premier gouvernement régional d’union prévu par l’accord de 1998.

Pour Théo Leschvein, sociologue, auteur d’une thèse sur le processus nord-irlandais à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), l’accord de 1998 a d’abord permis la fin des violences entre communautés. Avec le temps, «l’accord a rendu la ségrégation entre communautés de moins en moins acceptable», jusqu’à la mise en place un régime politique beaucoup plus égalitaire entre unionistes et républicains, «alors que la population catholique était jusque-là exclue de facto» des institutions. 

Les négociations ont duré plusieurs années, et n’ont connu une phase décisive qu’après le cessez le feu de 1994. Elles ont été facilitées, entre autres, par une grande lassitude et les attentes de la population. Paradoxalement, une fois les accords signés, d’autres problématiques ont refait surface, invisibles pendant les années de violence, comme par exemple «le haut niveau de suicide dans les zones défavorisées, ou alors des problèmes de violence domestique», souligne Théo Leschevin. Autant de problèmes qui n'avaient pas été réglés jusque-là et auxquels il était nécessaire de s’atteler, comme, autre exemple, le développement d’un système éducatif moins ségrégué. 

Les bouleversements du Brexit

L’application progressive de l’accord porte les deux parties de l’île à une stabilisation qui se retrouvera bousculée par le Brexit dès 2016: la sortie du Royaume Uni de l’Union européenne sape les bases de l’accord de 1998, lequel se construisait sur des règles européennes communes aux deux parties. «Le Brexit est venu rappeler que l’intégration à l’Union européenne et tout ce qu'elle impliquait de niveaux de régulation supranationale avaient joué un très grand rôle dans la stabilisation», comment Théo Leschevin; une intégration européenne qui avait permis «de s'asseoir autour d'une table parce qu'ils étaient des membres» de cette réalité commune.

Cette réalité commune s’effritant, le Brexit a fait craindre un retour de la violence, avec d’un côté la colère des nationalistes à l'idée d’avoir une frontière terrestre et la colère des unionistes à l'idée d’avoir une frontière en mer d'Irlande. «Mais en vérité, il y a en fait assez peu de monde qui soutient l'idée d'un retour à des campagnes paramilitaires», précise l’universitaire, en ajoutant que le Brexit «accroît des tensions, des frustrations, et des rancœurs qui font que des choses comme les émeutes locales qu'on a vu émerger sur le terrain il y a deux ou trois ans, sont à rattacher à cette à cette montée des tensions et des frustrations»

Le retrait des partis unionistes du gouvernement nord-irlandais en février 2022 n’a rien arrangé: les administrations fonctionnent au ralenti et certains budgets ne sont pas votés. «Tout cela entraîne petit à petit des tensions en zones urbaines défavorisées» de plus en plus organisées, avertit le chercheur. 

Une nouvelle Irlande

Bien que restant le pilier du maintien de la coexistence pacifique, les accords du Vendredi Saint commencent à être de plus en plus remis en question. Structurés autour d’un système politique qui repose sur un équilibre du pouvoir où les communautés nationaliste et unioniste ont une place égale les accords de 1998, sont bousculés par l'accord post Brexit entre le Royaume-Uni et l'Union européenne.

Le «cadre de Windsor» adopté le 27 février 2023 par Bruxelles et le Premier ministre britannique Rishi Sunak est censé résoudre l’épineuse question des contrôles douaniers entre les Vingt-Sept et la Couronne. Le «cadre de Windsor» rend plus flexibles les frontières tarifaires, et positionne la province nord irlandaise da facto plus proche du marché européen. Ce nouveau positionnement dénote «un certain désamour entre Londres et la communauté unioniste», confie Théo Leschevin, mais pas au point de laisser entrevoir, à un peu plus d’un siècle de distance, une réunification de l’île.

En revanche, «il y a une volonté de revenir à une régulation plus générale, plus de dialogue et plus de prise en compte de l'échelle de l'île d'Irlande dans son ensemble, des formes de solidarité que bon nombre de Nord hollandais éprouvent avec le reste de l'île d'Irlande». Une partie du monde politique irlandais s’attèle donc à une nouvelle tâche: essayer de fabriquer une nouvelle Irlande. 

Des textes à réviser

Le cheminement vers cette nouvelle Irlande, à en croire certains observateurs, passera par un amendement aussi bien des accords de 1998 que des accords post-Brexit. «Je pense qu'il sera important de les réformer puisque de toute manière les accords du vendredi sont toujours pensés comme un processus incrémental sur le sur le long terme et c'est normal qu’ils doivent évoluer», explique Théo Leschevin. Il en va de même pour «le cadre de Windsor», estime-t-il. «Par contre, je pense que cette négociation n'aura pas vraiment lieu entre Londres et Bruxelles puisque dans les faits, l’Europe et le Royaume-Uni considèrent qu'ils ont fait maintenant les efforts nécessaires et que les tensions que cet accord pourrait encore provoquer dans la vie politique nord irlandaise doivent maintenant plutôt être gérés localement par la classe politique et le gouvernement». Les Vingt-Sept considèrent qu’ils ont accordé assez de concessions, et qu'ils se sont déjà engagés au-delà du nécessaire. 

Entretien avec Théo Leschevin

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11 avril 2023, 09:48