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L’Église gréco-catholique et l’État ukrainien au chevet des déplacés

L’invasion de l’Ukraine par la Russie a provoqué une grave crise sociale et humanitaire dans le pays. Pour soutenir les plus pauvres et les personnes déplacées, les services de l’Église gréco-catholique travaillent souvent en collaboration avec les services sociaux publics. C’est le cas dans la capitale, Kiev, et ses environs.

Xavier Sartre – De retour d’Ukraine

Les chiffres fournis par Caritas Ukraine, qui dépend de l’Église gréco-catholique, sur la base de ceux établis par l’ONU, démontrent l’ampleur de la crise sociale que traverse l’Ukraine en pleine guerre. 17,6 millions de personnes ont besoin d’une aide sociale, trois millions d’une aide alimentaire, 60% de la population est sous le seuil de pauvreté. Il y a un an, un million de personnes étaient sans logement. Parmi eux, les déplacés cumulent toutes les difficultés, celle de trouver un nouveau logement, un nouveau travail, de se recréer un nouveau cercle social. Sans compter les dégâts psychologiques provoqués par les bombardements, les combats, la perte de proches, ou de ses biens.

Reportage à Kiev auprès des déplacés ukrainiens

C’est pourquoi le centre de Caritas Kiev est essentiel pour de nombreuses familles de Kiéviens et de déplacés qui ont trouvé refuge dans la capitale ukrainienne depuis le début de la guerre, fin février 2022. Les aides de l’État étant trop faibles, 150 familles se rendent chaque jour dans la cour de ce modeste bâtiment d’un étage. Elles y reçoivent un carton d’aliments de base qui leur permet de tenir un mois environ. Deux autres centres assurent la distribution de cette aide dans la ville, une trentaine d’autres dans cinq régions du centre et du nord du pays.

Aide psychologique

À l’étage, le son d’une chanson pour enfant s'échappe d’une pièce. Trois petits garçons y dansent encadrés par trois psychologues et cinq stagiaires en psychologie. «Ce qui m’impressionne chez ces enfants, c’est leur spontanéité et leur capacité à éprouver de la joie différemment de nous, les adultes. Nous, nous savons pas le faire, or nous devrions apprendre d’eux cette simplicité», confie Iryna, l'une de ces psychologues qui accompagne les enfants traumatisés par les combats. Elle-même vient d’une commune située près de Kiev brièvement occupée par l’armée russe au début de l’invasion.

Le centre de Caritas Kiev propose des ateliers pour aider psychologiquement les enfants de déplacés
Le centre de Caritas Kiev propose des ateliers pour aider psychologiquement les enfants de déplacés

Sa collègue Ulyana, est une déplacée, à double titre, ayant d’abord trouvé refuge à Marioupol après 2014, au début de la guerre civile, avant de quitter cette ville quand elle fut assiégée par les troupes russes en mars 2022. Son expérience personnelle lui est très utile dans son rapport à ces enfants: «L’expérience la plus forte fut de comprendre qu’à n’importe quel moment je pouvais perdre la vie et d’en percevoir alors la vraie valeur d’autant que je voyais aussi des enfants dans les zones occupées et sous les bombardements». Ulyana s’estime chanceuse d'avoir trouvé un emploi au sein de Caritas Kiev et en participant à un projet d’aide psycho-social de l’Unicef expérimenté dans cinq régions d’Ukraine. En travaillant ainsi, elle a pris conscience qu’aider les autres est aussi s’aider elle-même.

Collaboration entre l’Église et les autorités locales

Un peu plus loin, en périphérie de Brovary, petite ville industrielle à l’ouest de Kiev, c’est toute la population ou presque qui a besoin d’aide. L’Église gréco-catholique apporte sa contribution. Le père Oleh Panchyniak, curé de la paroisse gréco-catholique des Trois-Saints-Hiérarques, distribue au volant d’une camionnette aux couleurs de de Mudra Sprava (la Juste Cause), la fondation de charité de la curie patriarcale de l’Église gréco-catholique d’Ukraine, des repas chauds dans un centre social géré par la commune. Son arrivée est toujours saluée chaleureusement par la directrice mais surtout les pensionnaires, et notamment par la dizaine de personnes âgées qui y vivent. Pas d’atteinte à la laïcité, bien au contraire. La commune apprécie que le prêtre vienne apporter bien plus qu’un simple plat. Mais le père Oleh n’arrête pas là sa tournée.

L’Église aux côtés des déplacés

Direction maintenant le camp modulaire situé en bordure de ville, aux pieds de grands immeubles résidentielles. 200 déplacés dont 45 enfants y vivent. Ils n’ont en principe aucun proche pour les aider, ou n’ont pas la possibilité de travailler parce que trop âgées ou ayant des enfants handicapés à charge. La Pologne a offert la structure, la commune prend en charge son fonctionnement et divers bienfaiteurs, comme L’Œuvre d’Orient, participent au financement notamment des repas. Ce «village» est un havre de paix pour ses occupants comme Maria, originaire de Berdiansk et dont le fils est handicapé. «Ici je me sens très bien parce qu’on n’y sent pas la pression que l’on ressentait dans la zone occupée, témoigne-t-elle. Je me sens libre, c’est notre terre» poursuit-elle, ajoutant: «Moi, je vis avec l’espoir de la victoire, j’attends la libération et je veux rentrer chez moi».

Alina (à droite), directrice du centre d'accueil des déplacés de Brovary
Alina (à droite), directrice du centre d'accueil des déplacés de Brovary

Chaque famille a sa chambre, partage la cuisine, les sanitaires, les lieux communs et assure le ménage. Les enfants ont une salle de jeux, les personnes âgées une pièce qui leur est réservée. L’ensemble est payé par les services de l’État ou de la commune ou par des donateurs qui fournissent les meubles, les appareils ou même des appareils auditifs. «Cinq personnes ont reçu d’une ONG des appareils auditifs. Un homme de 86 ans qui n’entendait pas depuis dix ans a pu enfin entendre», illustre Alina, jeune femme au regard clair qui gère la structure. «Quand j’ai vu que cet homme, qui est le plus âgé de cette communauté m’a entendu et qu’il avait les larmes à l’œil, j’ai compris que je ne travaillais pas en vain», raconte-elle, reconnaissant que dorénavant, elle a «davantage envie d’aider ces personnes, de les soutenir et de gérer l’aide des ONG et des personnes privées pour prendre soin de ces personnes de manière à ce qu’ils se sentent chez eux».

Pas de discrimination religieuse

Avec Mina, 70 ans, originaire de la région de Louhansk, cet objectif est pleinement atteint. «Nous n’avions pas d’autre choix, reconnait-elle. Nous avons traversé la frontière russe à deux reprises, d’abord en 2014 puis en 2022». Avec elle, dans cette odyssée, son fils et sa petite-fille Lera, dix ans. «Nous sommes vraiment contentes d’être arrivées ici dans ce centre. Je ne crois pas que nous pourrions trouver quelque chose de mieux, notre appartement a été détruit en mars 2022», poursuit-elle. Bien sûr, elle voudrait voir son Ukraine «prospérer» de nouveau. «Je ne le verrai peut-être pas mais j’espère que ma petite-fille reverra l’Ukraine comme elle était avant», confie-t-elle.

Mina et sa petite-fille Leira, déplacées originaires de l'oblast de Louhansk
Mina et sa petite-fille Leira, déplacées originaires de l'oblast de Louhansk

Sa petite-fille, Lera, a les yeux qui pétillent malgré les épreuves traversées. Depuis qu’elle a rejoint ce centre, elle va à l’école du quartier et a noué de nouvelles amitiés. Son ton espiègle se drape d’un voile de tristesse quand elle évoque ce qui lui manque, principalement sa mère, décédée le 2 janvier 2018. Elle retrouve le sourire malgré tout, quand elle fait la liste de ce qu’elle n’a plus: «Notre appartement, ma chambre, mon ordinateur, la télévision grand écran qui est bien plus grande que celle du centre». Si, comme une majorité d’Ukrainiens, elle craint les alertes aériennes, elle regarde résolument vers l’avenir: «Je rêve qu’il n’y ait plus la guerre, que le ciel soit serein, que tout cela ne soit qu’un très long mauvais rêve», s’écrie-t-elle dans un rire partagé par sa grand-mère.

Avant de saluer, Mina tient à remercier l’Église gréco-catholique pour son aide matérielle, morale et spirituelle de tous les jours. Quand on lui demande si elle est de confession gréco-catholique, elle ne répond pas tout de suite. Après quelques secondes de silence, une lueur de reconnaissance dans les yeux, elle répond: «Je suis chrétienne». Dans les souffrances de la guerre, les querelles religieuses s’effacent. Peu importe quel est le rite, ce qui compte pour elle, comme pour de nombreux Ukrainiens, c’est que les paroles du Christ soient entendues et appliquées.

Reportage dans un centre d'accueil de déplacés

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10 janvier 2024, 08:30