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Mgr  Nestor Désiré Nongo Aziagbia, Cardinal Fernando Filoni, Mgr Guilavogui vescovo N'Zérékoré Mgr Nestor Désiré Nongo Aziagbia, Cardinal Fernando Filoni, Mgr Guilavogui vescovo N'Zérékoré 

En Centrafrique, l’Eglise reste la voix des sans voix

Alors que le gouvernement et les quatorze groupes armés viennent de ratifier l’accord de paix, le mercredi 6 février 2019 à Bangui la capitale centrafricaine, Mgr Nestor Désiré Nongo Aziagbia, évêque de Bossangoa et président de la Conférence Episcopale de la République centrafricaine, estime qu’il reste encore du chemin à faire.

Entretien réalisé par Jean-Pierre Bodjoko, SJ – Cité du Vatican

Entretien avec Mgr Désiré Aziagbia


La République centrafricaine vient de conclure un dialogue entre le gouvernement et les groupes rebelles. Ce dialogue s'est tenu à Khartoum, au Soudan, à l'issue duquel un accord a été conclu. J’estime que cet accord pourrait permettre la sortie effective de la crise que traverse le pays depuis presque six ans. Il faut que justice soit faite. Et cela passe par la mise en place des mécanismes nécessaires, en plaçant au cœur du système la victime, en ne faisant pas de cadeau aux bourreaux qui ont abusé de la population.

Est-ce que vous pensez que la réconciliation sera chose facile, puisque la question de la justice est souvent très délicate dans les pays post-guerres.

Lors du Forum national de Bangui en 2015, la population s’était opposée unanimement à l’amnistie, après les consultations de base. Et c'est dans cet esprit que le dernier accord de Khartoum a été conclu. Ainsi, il y aura des mécanismes à mettre en place. L’évolution des résolutions prises reste à être déterminée. Mais il ne faudrait pas tourner la page sans que justice soit faite. Autrement, le système d’impunité va se pérenniser, créant ainsi un cercle vicieux.

Le conflit centrafricain était présenté comme un conflit entre les musulmans et les chrétiens. Est-ce que la même conception du conflit reste inchangée ?

La religion reste le facteur pour justifier une guerre injuste. Mais la réalité sur le terrain est tout autre. Il existe des conflits entre les groupes présentés comme des entités musulmanes en fonction de leurs intérêts. La population musulmane qui se trouve dans ces localités se trouve prise en otage, obligée de payer des rançons pour vivre en paix. Les milices considérées à défaut comme des milices chrétiennes se comportent également de la même manière. D'ailleurs, ce ne sont pas des individus qui professent la foi. Ils mélangent la foi avec des pratiques traditionnelles. C'est une justification parmi tant d'autres pour continuer à exploiter les ressources du pays.

L'Eglise dans ce scénario paie les frais de ces conflits. Comment justifier cet acharnement contre l'Eglise ?

L'Eglise est la voix des sans voix. L'Eglise est engagée pour la population vulnérable et tous ceux qui profitent de cette crise trouvent dans l'Eglise un ennemi contre leurs intérêts. C'est la seule justification que je pourrais raisonnablement donner. L’Eglise est attaquée parce qu’elle essaie de dénoncer certains faits ; elle essaie d’éclairer l’opinion nationale et internationale. Nous sommes pleinement dans notre rôle prophétique. Nous l'avons dit à plusieurs reprises. Ces attaques injustifiées ne nous détourneront pas de notre mission de témoignage.

Vous avez parlé de cet accord de Khartoum au Soudan. Vous pensez que cela peut être le bout du tunnel ?

Si les différents acteurs mettent de la bonne volonté et si les dispositions qui sont comprises dans cet accord sont véritablement mises en pratique. Le chemin à parcourir est encore long. Les ramifications de la crise sont tellement énormes qu’il faut prendre notre mal en patience et continuer à travailler dans l'ouverture d'esprit pour résoudre cette crise une fois pour toutes. Il ne faudrait pas être naïf en pensant que la crise trouvera une résolution pacifique dans l’immédiat.

Et l’Eglise continue à donner sa contribution pour mettre le pays sur la bonne voie ?

L'Eglise continue à donner sa contribution par ses martyrs, par les nombreux dégâts matériels qu'elle subit au jour le jour. Toutefois, nous restons fidèles à notre engagement et à notre mission.

Pensez-vous que l'environnement sociopolitique de la sous-région n’a pas une certaine influence sur la situation du pays ?

Dans la dernière lettre des évêques du mois de janvier 2019, nous avons dénoncé l'implication de certains ressortissants des pays voisins, notamment des Ougandais qui sont encore présents sur le territoire centrafricain. Nous avons également fait mention des Soudanais, des tchadiens, des camerounais et des nigériens qui interviennent dans les groupes rebelles, dans le pays. Nous avons interpellé le gouvernement de ces pays amis à nous aider à éradiquer la source de cette crise que nous continuons de traverser.

Est-ce que les richesses de votre pays ne constituent pas la première source des malheurs que vous traversez ?

Malheureusement, les richesses du pays qui ne profitent pas à la population centrafricaine constituent la raison principale de cette crise que nous traversons. Il y a aussi la dimension géopolitique maintenant, avec l'intervention de la Russie et les tiraillements entre la France et cette dernière. La situation se complexifie. Nous espérons que toutes les dimensions de cette crise politique et géopolitique, économique et sociale entre autres, seront traitées et que l’on pourra trouver une bouée de sauvetage très bientôt.

Un mot d'espérance …

La crise centrafricaine qui dure depuis maintenant six ans a fait énormément de dégâts. L’Eglise de son côté n’a cessé d’accompagner les victimes de cette crise par la médiation, des plaidoyers et l'assistance humanitaire. Nous avons payé le lourd tribut de notre engagement par les dégâts matériels des églises et des presbytères qui ont été vandalisés, des prêtres qui ont été assassinés. Mais nous continuons à porter le témoignage de notre foi à proximité, en communion et en solidarité avec la population centrafricaine meurtrie. Nous gardons confiance que par la grâce de Dieu nous nous en sortirons.
 

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11 mars 2019, 18:46